Je traverse peu à peu les salles de la fondation Louis Vuitton, cet énorme vaisseau de verre et de pierre échoué dans le bois de Boulogne. J’observe la collection de peintures et de sculptures des Morozov, ces deux hommes d’affaires russes richissimes, dont la collection a été nationalisée par la Révolution de 1917. Je n’ai pas visité le palais de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg ou le musée Pouchkine, les splendides coffrets de ces trésors.
Comme lors de toutes les grandes expositions parisiennes, je maudis la tendance à survendre des billets, qui fait que les salles sont pleines en soirée et les week-ends. La jauge des institutions culturelles semble être les métros aux heures de pointe.
Les peintures des maîtres européens du 19e siècle sont familières. Les Monnet, les Cézanne, les Gauguin. Elles font partie de ce patrimoine si souvent reproduit, photographié, que je pourrais croire que ces tableaux sont suspendus au musée d’Orsay ou à celui de l’Orangerie, et non pas à la National Gallery à Washington DC, dans les musées de Chicago ou de New York. Voire, Moscou.
Après un couloir, j’arrive dans la file d’attente qui s’est formée pour entrer dans une petite pièce. « La ronde des prisonniers » je peux lire sur un panneau. « 5 minutes d’attente ». Je manque de partir, de gravir l’escalier qui conduit encore plus haut. Je suis fatiguée par le rythme lent du musée, la marche depuis le métro, les enfants bruyants qui attendent leur mère sur les marches, les personnes sans masque qui toussent autour de moi. J’ai hâte de rejoindre les grandes terrasses sur le toit de la fondation, d’où le bois de Boulogne prend un air de Central Park. Mais je patiente. Cinq minutes. Ma curiosité est la meilleure alliée.
Dans une pièce peu éclairée, aux murs bleus ou gris, est suspendu un unique tableau, peint par Vincent Van Gogh en 1890 alors qu’il se trouvait dans un asile psychiatrique. Je m’approche pour le contempler. La peinture, inspirée par une gravure plus ancienne, représente des prisonniers qui marchent en cercle dans la cour d’une prison. Les murs sont en brique, le sol semble être de pierre. Les couleurs sont verdâtres, grises, l’humidité saisit jusqu’aux os. Les prisonniers marchent, tête baissée, les bras ballants, dans un lancinant supplice. Au centre du tableau, un homme, un des prisonniers, au teint clair et aux cheveux roux, tourne les yeux vers moi. Ma gorge se noue.
Qui est le fou ? L’artiste qui a immortalisé le cercle de ses souffrances psychiques ? Ou nos sociétés avec nos armes nucléaires, nos haines et nos destructions ? J’ai lu que la collection Morozov a été évacuée loin du front pendant la 2ème guerre mondiale pour être préservée.
Un peu plus tard dans la journée, je prends un café avec une amie dans le 11e et nous parlons de l’exposition, qu’elle a vu quelques semaines auparavant. Nous n’avons que peu de mots. Mais quand je lui dis qu’un tableau m’a bouleversé, elle n’hésite pas une seconde avant de dire « celui de Van Gogh ».
le prix et le nombre de billets de la Fondation est hallucinant, lorsque l’on pense aux économies d’impôts que LVMH fait grâce à cette fondation ! Merci pour ce beau texte 🙂
c’est vrai que ce tableau est inquiétant certains prisonniers semblent nous transmettre leur souffrance à travers le regard Jaime beaucoup merci pour ce joli texte Caroline
Merci Mirelle. Je pensais « C’est nos impôts qui ont construit ce bâtiment » quand je marchais sur les terrasses 🙂
Merci Yanis. Ravie de faire découvrir ce beau tableau via une des Lettres de Paris.