Je poursuis mes balades dans mon quartier, à moitié locale, à moitié touriste, un pas dans le présent, un autre dans le passé.
La charmante et colorée cour d’Alsace-Lorraine, située à deux pas du métro Montgallet dans le 12e arrondissement, aurait été construite avec des pierres de la prison de la Bastille, comme le pont de la Concorde. Telles les reliques des saints, qu’importe si les morceaux recomposent plusieurs forteresses.
Derrière un portail moderne d’un immeuble de la rue de Charonne, se cachent un sympathique jardin public, avec ses pelouses, ses arbres en fleur et son aire de jeux pour enfants, et un pavillon du 18e siècle, le pavillon Belhomme. Pendant la Révolution, cette maison de santé, destinée aux personnes souffrant de troubles psychiatriques, a accueilli, moyennant finances, des aristocrates désireux d’éviter la guillotine sous prétexte de maladie mentale.
La rue de la Roquette s’est substituée aux grandes places parisiennes : 200 exécutions ont eu lieu face à la prison de la Roquette désormais disparue. Cinq pierres plates demeurent, cachées au milieu du bitume, sur lequelles la lame était stabilisée au-dessus des pavés. Les dalles de la guillotine. La même guillotine qui a été brulée devant la mairie du 11e, place Voltaire, pendant la Commune de Paris en 1871.
Pendant le siège de Paris par les armées prussiennes en 1870, des ballons ont été utilisés pour transporter officiels et documents importants au-dessus des lignes ennemies. Et je me rappelle de ce premier ballon habité qui a décollé dans les jardins de la Folie-Titon non loin de la place de la Nation, quelques années avant la Révolution.
Le passé affleure dans les allées du Père-Lachaise. À vif sur les tombes de victimes des attentats du Bataclan recouvertes de photos. Plus fané sur les dolmens érigés pour les fondateurs du spiritisme, toujours somptueusement ornés de bouquets. Semaine après semaine, au lieu de le traverser simplement du nord au sud, je m’arrête pour des hommages particuliers. Oscar Wilde, dont la tombe a été protégée par un coffre de verre des baisers posés au rouge à lèvre sur la pierre. Marcel Proust, si discret. Balzac et le poète Gérard de Nerval, qui semblent se tenir compagnie. Hubertine Auclert, journaliste, féministe, militante, enterrée en face d’eux. Gisèle Halimi, à qui je dois une rose.
Les commémorations des 150 ans de la Commune de Paris me conduisent vers le mur des Fédérés, triste rappel que des combats et des exécutions ont eu lieu dans le Père-Lachaise. Le site est en rénovation (comme la porte d’entrée sud). Mais d’autres pages de l’Histoire émergent dans ce coin du cimetière. Stèles et statues rendent hommage aux morts des camps de concentration. Un poème de Louis Aragon loue le courage des immigrés qui se sont engagés dans la Résistance et je lis plus tard que ce poème, comme le mural bleu découvert rue Darcy, a été écrit pour le commando Manouchian. Voisine, la tombe de Paul Eluard est décorée d’une pierre sur laquelle a été dessinée « Liberté, j’écris ton nom ». Le pavé parfait pour la prochaine barricade.
Et si ma gorge se noue, cela ne dure pas trop longtemps. Le soleil brille sur la ville et les arbres sont en fleur et les cris et les rires des enfants me parviennent depuis les écoles situées en contrebas des hauts murs de pierre.