Le roi est la pièce la plus importante du jeu d’échecs. Il ne peut se déplacer que d’une case à la fois et ne peut gagner un duel qu’en bataille rapprochée. Alors que le jeu permet à tout pion qui traverse l’échiquier de devenir une autre pièce, de se transformer en tour, fou, cavalier ou reine, personne ne peut remplacer le roi.
Les journalistes et historiens espagnols disent que l’Espagne était juancarliste plus que monarchiste. Ils se souvenaient du jeune homme blond arrivé du Portugal où sa famille vivait en exil pour se ranger dans l’entourage de Franco. N’avait-il pas hérité du trône à la mort du dictateur ? N’avait-il pas réussi la transition démocratique avec une partie des franquistes et la gauche sortie de la clandestinité ? N’avait-il pas défendu la fragile constitution et son régime parlementaire lors d’une tentative de coup d’état militaire en 1981 ? Les Espagnols aimaient ce monarque de régates, matchs de football et corridas.
Juan Carlos était un roi télégénique. Les Jeux Olympiques de Barcelone. Les finales de football. Les deuils nationaux. Le protocole existait pour être bafoué : en 2010, il prenait dans ses bras Iker Casillas juste avant qu’il ne soulève la coupe du monde de football à Johannesburg.
La nouvelle constitution espagnole avait accordé l’immunité au roi. La presse aussi. Tous pensaient à ses maîtresses, au visage résigné de la reine Sofía. Puis ils ont découvert les excès, comme cette partie de chasse (d’éléphants) en 2012 alors que le pays était au cœur d’une tempête économique. Et, plus récemment, les 100 millions de dollars « offerts » par le roi d’Arabie Saoudite pour « fêter » la signature du TGV saoudien de construction espagnole. Alors que les hôpitaux manquaient d’équipement face au virus, nombreux ont réclamé que les millions reçus par Juan Carlos financent la sécurité sociale nationale. Juan Carlos aurait résumé : « la jeune génération se souviendra de moi comme le roi de l’éléphant, de Corinna [sa maîtresse] et des millions en Suisse ».
Au jeu d’échecs, le roque permet de déplacer en un coup unique le roi et une tour. La tour est positionnée dans l’axe du jeu, le roi est mis à l’abri. Le roque est la seule exception aux règles de déplacement des pièces sur l’échiquier.
En 2014, la monarchie espagnole a roqué : Juan Carlos 1ero a abdiqué en faveur de son fils et est devenu roi émérite. En 2020, face aux nouveaux scandales, Felipe VI, le roi actuel, a renoncé à l’héritage financier de son père et lui a retiré son allocation annuelle de 200.000 euros. Il vient d’obtenir l’exil de Juan Carlos pour tenter de sauver son règne et l’institution monarchique.
Les journalistes continuent leurs investigations. La presse britannique a révélé en juin que le voyage de noces de Felipe et Letizia d’Espagne en 2004 aurait coûté autour de 500.000 dollars, offert en apparence par le roi Juan Carlos, mais financé par des chefs d’entreprise amis du roi. Sachant que le budget annuel de la couronne espagnole est de 5 millions d’euros, le prince Felipe, futur roi, n’aurait-il pas dû s’interroger sur la valeur de ce cadeau ?
Si le roi est en danger immédiat, le joueur d’échecs à l’offensive annonce « échec au roi ». Si cette menace ne peut être déjouée, la partie d’échec se termine avec un échec et mat (« le roi est mort » en perse et en arabe). La monarchie juancarliste a surmonté un premier échec au roi… mais assistons-nous à l’échec et mat, dans une partie où Juan Carlos est encore le roi et où son fils Felipe VI est une autre pièce sur l’échiquier? Je l’ignore mais je reste devant la partie.