Jeudi dernier, devant la machine à café, une collègue me dit « la vague énorme que nous apercevons depuis des semaines déferle maintenant sur nous. » Je viens de me servir une tasse de thé. Il est neuf heures du matin.
Je repars vers mon bureau et allume mon ordinateur. Je commence par l’actualité. Comme chaque jour depuis la mise en quarantaine de la ville de Wuhan à la veille du nouvel an lunaire, mes yeux sont rivés sur les informations sur le virus. Presque deux mois. Des hôpitaux construits en quelques jours. Des Chinois couverts de protections plastiques. Un Anglais qui ressemble à l’un de mes oncles bloqué à bord d’un bateau de croisière à Yokohama et racontant son expérience sur Youtube. Des villes fantômes. Un autre Anglais qui contamine dix personnes en rentrant de Singapour, lors d’un week-end au ski dans les Alpes. Les Vietnamiens qui inventent une chanson pop pour expliquer les gestes de prévention. L’épidémie qui progresse rapidement en Italie. Le compteur de l’université Johns Hopkins. Presque deux mois. J’ai lu un livre effrayant sur la grippe de 1918. Mais le virus reste une abstraction. Je me lave les mains et tousse dans mon coude. Mais le virus reste une abstraction. Je suis cachée derrière mon écran.
Les ventes de l’entreprise pour laquelle je travaille ont chuté en Chine. Qui voudrait s’enfermer dans un magasin pour acheter un produit français ? Les boutiques ont fermé de longues semaines et commencent à rouvrir peu à peu. Nous mesurons l’impact de la crise. Nous avons refait le budget annuel. Nous attendons. Secrètement, ne pensions-nous pas que la crise s’arrêterait en Asie, comme l’épidémie de SARS en 2003 ?
Je finis mon thé. Susana, ma copine médecin, vient d’écrire dans le groupe Whatsapp de la chorale barcelonaise qu’elle déconseille à tous de participer à la répétition hebdomadaire. Elle écrit « des personnes à risques font partie de la chorale », « le seul fait de chanter augmente nos possibilités de nous contaminer les uns les autres » et « protégeons nos poumons, protégeons nos opportunités de chanter ensemble à l’avenir. » Ses conseils sont immédiatement suivis, cours et concerts annulés sine die.
Tino, amateur de Joan Manuel Serrat et avocat à la retraite, répond simplement au message de Susana : « chantons chez nous, de temps en temps, Glory in the highest, ça ne sera pas la dernière fois que cette chanson nous aide ». Ses mots m’arrivent en plein cœur.
Glory in the highest est une chanson particulière dans le répertoire de Little Light. Nous la chantons pour les personnes gravement malades, pour les morts. Il y a eu le père de José María, en coma après une lourde chute. Il y a eu le fils d’Hortensia, disparu trop jeune. Il y a eu Oscar, le directeur de la chorale, quand il luttait pour sa survie en début d’année dernière, hospitalisé de longues semaines avec une fièvre et une toux inquiétantes. Tino a raison, nous en aurons besoin.
Je repose mon téléphone. La vague arrive sur nous.