Nous avons traversé les Appalaches sur l’I-40, empruntant la route en lacet qui serpente au cœur de la Cherokee National Forest. Les arbres étaient partiellement dénudés, les érables s’accrochant à leurs feuilles rouges comme dernière preuve de leur identité. En Caroline du Nord, nous avions déjà pu contempler l’ombre bleutée des montagnes, les bien-nommées Blue Ridge Mountains, cellesque les Cherokee nommaient déjà « lieu de la fumée bleue ».
« C’est le symbole de la ville » m’a signalé mon amie Catie, me montrant un ballon d’or géant posé sur un support très fin. « Il est sur le site de l’exposition universelle ». Je n’avais aucune image de Knoxville, dans l’est du Tennessee, seulement un plan de la ville regardé rapidement sur Google Maps, son centre historique placé entre la rivière, des autoroutes et l’énorme campus de l’Université du Tennessee.
Une obligation professionnelle de mon hôte avait modifié nos projets. Nous aurions dû aller visiter Savannah, en Géorgie, sur la côte atlantique. Une ville dont je rêve depuis que j’ai vu -quasiment à sa sortie- le délicieux film policier Minuit dans le jardin du bien et du mal de Clint Eastwood : les maisons coloniales avec leurs élégantes vérandas, les places cossues, la moiteur ambiante que j’imagine similaire à celle de Washington DC, les branches des arbres recouvertes de mousse, les statues en pierre, etc.
Après avoir déposé nos affaires à l’hôtel, nous nous sommes rendues à Market Square, une agréable place entièrement piétonne, entourée de restaurants et de boutiques. Nous avons contemplé des statues en bronze de suffragettes, un panneau expliquant qu’un député du Tennessee a émis le vote décisif au Congrès en faveur du droit de vote des femmes en 1919. Nous avons pris un verre sur la terrasse panoramique d’un autre hôtel, puis dîné sur la place.
Le lendemain, alors que Catie se rendait au siège de l’entreprise pour laquelle elle travaille, je suis partie à la découverte de la ville. Tout est surprise, tout est étonnement. J’utilisais Google Maps et Wikipédia comme mes guides. J’ai commencé par le site de l’exposition universelle de 1982, dont le thème était l’énergie. Le ballon d’or géant au centre du parc était une représentation du soleil, la Sunsphere. Quand la pluie a commencé, je me suis réfugiée au musée d’histoire de la ville, près de Marquet Square. À l’entrée du bâtiment, J’ai découvert éberluée que j’étais dans l’ancien siège de la Tennessee Valley Authority (TVA), ce gigantesque programme d’aménagement du territoire lancé par Roosevelt pendant le New Deal : j’entrais dans un musée et dans mes cours d’histoire.
J’ai parcouru les salles d’exposition. La fondation de Knoxville et de l’université. Les Cherokee, peu à peu expulsés par la ruse et par la force vers les réserves de l’Oklahoma. La révolution industrielle, favorisée par l’arrivée du chemin de fer. Le marbre blanc qui a été extrait et envoyé partout, des escaliers et halls de la gare de Grand Central à New York aux marches du Lincoln Memorial de Washington DC. Le retentissement de la guerre de Sécession. L’aménagement du territoire dans les années 1930 et 1940, avec la TVA et ses lacs de barrage, les mines d’uranium pour le programme atomique, la création du parc naturel des Great Smoky Mountains.
Quand j’ai quitté le musée, j’ai pris des photos dans des ruelles dont les murs étaient couverts de peintures murales. Dolly Parton, la chanteuse de country, née dans la région, m’attendait avec son sourire rouge carmin peint sur la brique. J’ai ensuite poursuivi mon exploration de la ville, marchant longuement le long de la Tennessee River et de ses criques, sur les anciennes lignes de chemin transformées en promenades piétonnes. Des immeubles anciens et neufs, des autoroutes, la rivière grise et bleue.
Je n’avais aucune image de Knoxville. Mais cette ville faisait déjà partie de mon histoire. Dans mon émotion au Lincoln Memorial. Dans mes cours sur le New Deal. Dans les notes du I will always love you de Dolly Parton.
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