Un dimanche après-midi de février, deux pages consultées sur Internet suscitent des émotions opposées.
La première page ne sent pas l’encre, elle ne crisse pas comme du vieux papier jauni par le temps. Et pourtant. Dans un registre municipal de la ville d’Angers, un officier d’état civil a tracé quelques mots de sa plume élégante, des mots qui résolvent un mystère, presque un secret de famille. Je me saisis de mon téléphone et j’appelle mon père pour lui lire ce que je vois : « natif de Niederwasser, Grand-Duché de Baden ». Google Maps nous souffle que le village est situé au sud de la Forêt-Noire, en Allemagne.
Si j’avais pu soumettre aux Sherlock Holmes de la généalogie une énigme à résoudre, j’aurais cité les origines de l’un des arrière-grands-pères de mon grand-père paternel, dont le prénom et le nom aux sonorités germaniques attisaient notre curiosité au milieu des ancêtres angevins de cette branche de ma famille, sans que personne n’en sache plus.
La véritable détective a été une cousine de mon père, qui avait complété sur un site de généalogie en ligne une date et un lieu de naissance pour l’aïeul mystérieux, informations qui ne figuraient pas dans les arbres généalogiques qu’elle avait partagés avec moi il y a presque trente ans. Quelle déception de lire que l’aïeul était né en Bretagne. Néanmoins, elle avait ajouté une autre information : la date et le lieu de décès du père de l’ancêtre au nom énigmatique. C’est lui dont je regardais l’acte de décès, lui qui était mort à Angers mais était né… outre-Rhin.
« Ça te fait quoi, d’avoir un premier ancêtre né à l’étranger ? » J’ai demandé à mon père avant de raccrocher. « Pas celui qu’on croyait, certes, mais son père. » Il a rigolé en répondant que c’était ça l’histoire de France.
La deuxième page est encore plus banale, une longue liste de prénoms, noms et dates sur un site internet de généalogie. Comme l’acte de décès de l’aïeul né en Allemagne précisait aussi les prénoms et les noms de ses parents, j’ai retrouvé toute sa famille en Forêt-Noire. Il figurait au milieu de ses frères et sœurs, dans une longue liste, mais il était le seul pour lequel la seule date renseignée était sa date de naissance, le seul à avoir « disparu » de l’arbre généalogique allemand.
Si devant l’état civil français, j’avais ressenti la satisfaction d’avoir résolu un mystère, voir mon plusieurs-fois-arrière-grand-père au milieu de sa fratrie m’a rempli d’une tristesse inattendue. Quelles ont été les circonstances de son départ de Forêt-Noire dans le premier tiers du 19e siècle ? Sa famille le savait-elle en France ? Avait-il gardé contact avec ses parents ou ses frères et sœurs ? Je ne connais que l’émigration du courrier postal, du téléphone et d’Internet, que l’émigration des bateaux, des trains et des avions, que l’émigration des visas, des cartes de séjour et des naturalisations.
Il est trop tard pour mes lointains oncles et tantes allemands du début du 19e siècle. Je ne peux pas leur donner des nouvelles de leur frère parti en France. Mais, sous la liste des noms et des dates, figurent les coordonnées de la personne qui les a renseignés, très probablement un descendant de l’un des frères et sœurs de mon plusieurs-fois-arrière-grand-père, un cousin allemand.
« Je suis tellement contente. Cela fait trente ans que je me posais cette question ! » j’ai dit à ma sœur. Et avec sagesse, elle m’a répondu « le cousin allemand cherche peut-être depuis trente ans, lui aussi. » Alors, c’est promis, j’écrirai au cousin allemand et lui donnerai quelques informations sur ses cousins français, les lointains descendants du frère « disparu ». Il pourra connecter les arbres généalogiques, celui de ma cousine et le sien : les deux arbres sont déjà sur le même site internet, le premier en français, le second en allemand.
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