Mon nouveau bureau est une table ronde en plastique rapportée de Madrid il y a deux décennies.
La décoration de la pièce est sobre. Du mobilier blanc. Des plantes, un cactus et deux aloe verra. Dans un angle, un tableau peint par ma sœur représente la fontaine des quatre dauphins à Aix-en-Provence. Elle l’avait offert à notre grand-mère et je le garde en souvenir. À hauteur des yeux, sur une étagère, deux récipients de verre, le premier contenant du sable d’une plage de la côte Est des États-Unis, le second ma collection de coquillages barcelonais. Un mur peint en vert-amande est la seule touche originale. Si je participe à une visioconférence, mes interlocuteurs ne verront qu’un mur pâle derrière moi, peut-être un cactus si j’opte pour un plan plus large.
La table est placée devant une fenêtre. À travers les vitres, j’observe les façades blanches des immeubles et leurs toits bleus. Quand des ramoneurs ou des couvreurs marchent sur les ardoises, je détourne le regard. Le vertige qu’ils n’éprouvent pas me saisit. Un beau morceau de ciel changeant occupe le tiers supérieur. Si le temps est clair, je tire le rideau orange pour ne pas être éblouie par le soleil du matin. En fin de journée, la lune se lève au-dessus des cheminées.
Je suis dans mon nouveau bureau, la cuisine de mon appartement. J’entends le ronronnement du moteur du frigo qui redémarre. Les carreaux blancs « métro » des crédences de ma cuisine sont les jumeaux de ceux des stations de métro voisines. Une odeur de Paic citron flotte dans l’air, me rappelant des hivers quand j’étais lycéenne, quand le lave-vaisselle ne fonctionnait plus et que je chantais les mains dans la mousse parfumée les chansons de mes artistes préférés en lavant couverts, verres et assiettes. Les placards contiennent du thé et des tisanes, de l’huile d’olive, du miel et de l’eau de fleur d’oranger et une étagère entière de livres et de cahiers de recettes, ces mêmes cahiers où j’ai écrit les recettes de mes grands-mères. Le frigo est plus vide que plein, héritier de cette époque de ma vie marquée par les voyages au long cours. Au frais, une bouteille de champagne attend une célébration, une fête, une bonne nouvelle.
Assise sur un tabouret Ikea, ordinateur allumé devant moi, j’assiste à une réunion, je prépare un cours, je peaufine une présentation, je passe un coup de fil, j’écris un email. J’utilise un casque audio comme les réceptionnistes, où se succèdent conversations et musique. Je ne lance le lave-vaisselle ou le lave-linge qu’en dehors des heures où je travaille, ce sont des collègues trop bruyants.
J’écouterai plus tard les cris des enfants à la sortie de l’école puis les freinages du camion des éboueurs, ces bruits familiers qui rythment la fin de ma journée de travail.
Je regarderai plus tard la lune se lever au-dessus des toits d’ardoise.
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