[Les coulisses : Pourquoi je relis The Hunger Games]

Le diagnostic est sans appel. Depuis une première lecture de The Hunger Games de Suzanne Collins en 2012, j’ai relu la trilogie de 3 volumes (The Hunger Games, Catching fire, Mockingjay en VO) presque chaque année.

Les 1 200 pages de la série rendent cette relecture possible alors que relire d’autres sagas beaucoup plus longues, comme Harry Potter ou ma favorite Memory, Sorrow and Thorn de Tad Williams (L’arcane des épées en VF) dont le dernier tome doit frôler à lui seul les 800 pages, occuperait beaucoup de mon temps de lecture.

Mais pourquoi relire The Hunger Games avec une telle fréquence ? Pourquoi est-ce que j’y reviens toujours ? Je pense que comme lectrice et comme auteure, The Hunger Games contient des sujets et des sources d’inspiration très riches. Et, de manière plus personnelle, la trilogie résonne avec ma vision du monde mais aussi avec les points communs que j’ai avec son héroïne (et non, ce n’est pas ma maîtrise du tir à l’arc).  

Lire The Hunger Games

  • La dystopie de ma génération

Suzanne Collins a publié ses romans entre 2008 et 2010 dans la catégorie young adults, ce segment de marché aux USA qui vise les adolescents. Par la simplicité du vocabulaire employé et la clarté de l’intrigue, la saga vise ce lectorat. Mais, comme d’autres séries destinées à des enfants et des adolescents, The Hunger Games ont aussi trouvé des lecteurs parmi les adultes. 

Comme lectrice, j’avais déjà lu et apprécié d’autres dystopies, ces mondes imaginés par des auteurs de science-fiction qui montrent un univers « pire que le nôtre », le contraire d’une utopie fantasmée. Mais chaque dystopie est le produit de son époque. Le livre Les dépossédés d’Ursula Leguin, où deux planètes, l’une capitaliste et l’autre communiste/anarchiste, se font face, ne se comprend que dans le contexte de la Guerre Froide pendant lequel le roman a été écrit. De même, Margaret Atwood raconte avoir eu l’inspiration de La servante écarlate en enfilant une burka à Kaboul au début des années 1980. C’est cet objet qui l’a conduit à imaginer la dictature religieuse de Gilead.

Pour ce qui est de The Hunger Games, Suzanne Collins a raconté à plusieurs reprises qu’elle zappait entre American Idol (le concours musical de la chaîne de télévision américaine Fox) et les chaînes d’information en continu qui diffusaient la guerre en Irak et que cette juxtaposition l’a poussée à concevoir ce concours de popularité mêlé de combat à mort que sont les Hunger Games. Cette superposition, cette absurdité, c’est exactement ce que je pouvais voir à la télévision au début des années 2000 aux USA, c’est exactement ce que ma génération a vu.

Certains jeunes américains s’engageaient dans l’armée et partaient pour des tours en Irak ou en Afghanistan et d’autres, du même âge, chantaient dans les longues files de casting de l’émission de téléréalité en rêvant, eux aussi, d’une vie meilleure. Et les médias américains étaient présents dans les deux cas, avec ces journalises embedded soucieux de faire vivre les événements au plus près du réel par leurs spectateurs, jusqu’à transformer la guerre en spectacle. 

  • La santé mentale comme sujet central

Les 3 livres abordent de manière différente et constante la santé mentale des protagonistes. Personnages souffrant de dépression (la mère de Katniss), d’addictions (Haymitch), de trauma, de stress post traumatique, etc. Tout au long du livre, l’état mental de Katniss est au cœur de l’intrigue, ce qui est accentué car le roman est à la première personne et que nous sommes, en tant que lecteurs, toujours dans la tête de l’héroïne.

Dans le 3ème tome, probablement inspirée par les nouvelles qui arrivaient de la base militaire américaine de Guantanamo, Suzanne Collins a ajouté le thème de la torture et de la manipulation mentale, torture dont sont victimes Peeta et d’autres protagonistes. Le hijacking dont est victime Peeta me rappelle d’ailleurs la figure de Brody dans la série Homeland de HBO (elle-même inspirée d’une série israélienne Hatufim, sortie en 2010, la même année que Mockingjay).   

  • D’autres échos à notre actualité

D’autres thèmes du livre rappellent ce que nous voyons sur nos écrans et dans nos vies de tous les jours : la destruction écologique, les guerres avec usage de l’arme atomique comme un chantage, les « victimes collatérales » des conflits armés, l’impact de la destruction écologique sur la santé humaine (épidémies, baisse de la fertilité), les manipulations génétiques plus ou moins contrôlées (les muttations de la trilogie), l’importance des apparence dans l’élite du Capitol (chirurgie esthétique poussée à l’extrême), la corruption et les secrets de la classe politique, les influenceurs (dans les livres, les anciens gagnants des éditions antérieures), etc.

Apprendre de The Hunger Games en tant qu’auteure

Je reconnais l’intérêt des thèmes choisis par Suzanne Collins, mais je suis surtout bluffée par ses choix redoutables et efficaces qui expliquent le succès des livres.

  • Une idée n’a pas forcément besoin d’être originale

Suzanne Collins nie cette influence mais l’élément central de The Hunger Games, ce lieu clos où des adolescents doivent se battre jusqu’à la mort, ressemble à celui du film japonais (et manga ?) Battle Royale. Mais la coexistence des 2 prouve qu’un concept peut être à la source de 2 œuvres différentes. Il est possible de recycler, de réinventer, de réinterpréter.

  • L’efficacité de la construction des 3 volumes

L’auteure américaine a tout mis en œuvre pour inciter le lecteur à tourner les pages. Le rythme est soutenu, avec un bon dosage entre les dialogues et des descriptions. L’intrigue se maintient toujours à rythme vif. Chaque scène et chaque chapitre se terminent avec du suspens. Le premier et le deuxième tome, aussi.

  • La construction d’un univers

En peu de pages (au début du 1er livre de la série), l’auteure construit un univers. Panem aurait remplacé les États d’Amérique du nord (USA et Canada ?) à la suite d’un désastre militaire et écologique. Ensuite, avec un niveau de précision variable, le lecteur fait la correspondance : le District 12 de Katniss serait la Virginie Occidentale d’aujourd’hui, le Capitol serait la région de Detroit (Les Rocheuses), le District 11 se situerait dans la vallée du Mississippi (Louisiane ? Alabama ?), etc. Aucun autre État du monde n’est cité, Panem ne semble pas avoir de ministère des affaires étrangères (le Gilead de Margaret Atwood a encore le Canada au nord). 

Ce nouveau pays ressemble aux USA actuels en termes de technologie et de culture. Deux exceptions m’interpellent toutefois. Premièrement, le fait que cette société future semble plus égalitaire entre les femmes et les hommes (mais c’est peut-être discutable). Et, plus significatif, l’absence total de référence à un ou plusieurs dieux et à une quelconque pratique religieuse. Ceci m’a tellement surpris que j’ai cherché le mot God grâce à la recherche textuelle de ma liseuse électronique pour confirmer cette intuition : le mot ne figure pas dans le roman.

Enfin, de nombreuses références cultivent la ressemblance entre Panem et la Rome antique. Le nom de cet État, allusion au Panem et Circences (du pain et du cirque) des Romains, cette maxime selon laquelle, pour tenir le peuple, il fallait lui garantir de la nourriture et des divertissements. Les jeux du cirque correspondent ici aux Hunger Games, qui se déroulent dans une arène, dans laquelle s’affronte les tributs/gladiateurs. Le Capitol, le nom de la nouvelle capitale, fait écho à la fois au bâtiment hébergeant les députés et les sénateurs américains aujourd’hui mais aussi à une colline romaine. Enfin, le parallèle est conforté dans les romans par l’usage de prénoms romains, pour des personnages issus des élites du Capitol ou provenant des districts alliés au Capitol (Seneca, Brutus, Plutarch, Cato, etc.)  

  • La construction des personnages

La construction des personnages est très efficace. D’abord, Suzanne Collins a inversé les stéréotypes de genre entre ces 2 protagonistes principaux. Katniss chasse, est à l’aise avec des armes (arc et flèches, couteau, pièges), appréhende et communique mal ses émotions. Peeta prépare du pain et des pâtisseries, dessine et s’exprime avec aisance. Il est sûr de lui et de sa place dans le monde. Et, bien sûr, c’est Katniss qui sauve la vie de Peeta à plusieurs reprises au long de la série. Je ne peux que me réjouir que les livres et les films aient eu un tel succès. Un personnage féminin fort et pas une princesse qui attend d’être sauvée.

Un autre stéréotype, celui du sage qui guide le héros (comme Gandalf ou Yoga), est réinterprété. Haymitch, le mentor de Katniss et Peeta, ancien gagnant des Hunger Games, est rusé et très intelligent, mais il est aussi alcoolique et d’humeur massacrante.

La sensation d’une « tapisserie » de personnages est renforcée par les contrastes et les parallèles que l’on peut faire entre les personnages. Gale est ce que Katniss pourrait être si elle n’avait pas le sens profond que la fin ne justifie pas les moyens. Madge est ce qu’elle aurait pu être si sa mère n’avait pas épousé un mineur. D’anciens gagnants comme Johanna, Finnick ou Haymitch figurent ce que Katniss et Peeta pourraient devenir après avoir survécu aux Hunger Games.

  • Un style économe

Le choix de tout raconter du point de vue de Katniss (une des différences majeures avec les films, où il n’y a pas la voix de Katniss) fonctionne bien. Elle a des yeux neufs sur les jeux, sur ce qu’elle découvre du Capitol, sur les autres districts, etc.

Au-delà ce choix stylistique, l’auteure a décidé d’être économe. Certains personnages n’ont pas de prénoms (la famille de Peeta, les parents de Katniss, certains participants aux Hunger Games, etc.) Les descriptions sont évocatrices mais le lecteur peut imaginer beaucoup de choses (ce qui a donné une grande liberté à l’adaptation au cinéma des 3 volumes). Je pense que cela renforce notre plaisir de lecture que de pouvoir imaginer beaucoup de choses par nous-mêmes.

  • La réussite de certains thèmes et images comme « fils rouges »

Suzanne Collins choisit d’utiliser certains thèmes et images comme des fils conducteurs tout au long de la trilogie. Je prendrais ici un exemple, celui de la voix (et du fait de chanter).

Katniss chantait quand elle était enfant mais elle a arrêté de chanter après le décès de son père dans une explosion dans la mine. Elle chante pour Rue pendant les 1ers Hunger Games. Elle est traumatisée par les avox (personnes mutilées par le Capitol, privées de leurs voix et de leur liberté). Elle chante pour inciter les districts à se soulever contre le Capitol. Elle manque de perdre sa voix quand elle est attaquée par Peeta (il l’étrangle et les cordes vocales de Katniss sont momentanément abimées, la rendant incapable de parler). Elle chante quand elle est emprisonnée à la fin du dernier volume, etc. De manière plus large, elle va apprendre à trouver sa voix (et sa voie) au cours de la trilogie

The Hunger Games et moi

Ce n’est pas un hasard que je relise cette série régulièrement. Si j’essaie de creuser un peu plus mes motifs profonds de relire la saga, j’en trouve 3 principaux.  

  • Des convictions

La trilogie The Hunger Games résonne avec ma colère de vivre dans une société inéquitable, injuste et violente. Des jeunes soldats et des civils qui sont tués dans des conflits armés vains. Des réfugiés qui meurent dans l’espoir d’une vie meilleure (ceux que Katniss croise alors qu’ils se trouvent en direction du fantasmé 13ème district). Le pouvoir de l’image et des médias pour nous manipuler.

Mais je suis réaliste, s’il y a des parallèles entre notre monde actuel et Panem, alors, privilégiée que je suis, je n’habite pas dans un des districts mais bien au Capitol, dans un confort inouï. Quand l’équipe de stylistes de Katniss lui raconte leur vision des jeux auxquels elle vient de participer, les jeux ne sont que le décor de leurs vies. Ils décrivent ce qu’ils faisaient à ce moment-là, où ils étaient et avec qui. Et dans cet instant, ils me tendent un miroir. Car, comme eux, je raconte où j’étais quand j’ai vu le mur de Berlin tomber, quand les attentats du World Trade Center ont eu lieu, etc. Comme eux, je fais partie des spectateurs des malheurs des autres. Avec le risque de déshumaniser les êtres humains de l’autre côté de l’écran. Et de transformer les informations que je vois à la télévision en un spectacle de plus.

  • Un deuil impossible

Comme Katniss qui n’arrive pas à faire le deuil de son père, ma grand-mère maternelle est décédée alors que j’étais à l’autre bout du monde, avec les 3 tomes de la saga dans mes bagages. Je n’ai pas pu aller la voir, aller à l’enterrement et j’ai poursuivi ma mission professionnelle sans jamais m’arrêter. Les livres me distrayaient des mauvaises nouvelles qui arrivaient et maintenant je les relis comme pour rembobiner, pour revenir en arrière.

  • Le syndrome d’imposture  

Je m’identifie au syndrome d’imposture dont souffre Katniss. Elle se sent illégitime, sous-préparée par rapport aux défis qui l’attendent. Mais comme dit Peeta « she doesn’t know the effect she has ». Elle se sous-estime, elle a du mal à reconnaître ses propres qualités, à se mettre en avant. Et, à nouveau, quand un livre me tend un miroir, je suis (parfois) capable de le reconnaître. Et c’est le cas ici. Ces livres sont un encouragement à agir, à être l’héroïne de ma propre vie, à surmonter mon syndrome d’imposture.

Et vous, pourquoi relisez-vous The Hunger Games ? Et si ce n’est pas ce livre, quel livre relisez-vous régulièrement ? Et pourquoi ?

Image : Pexels de Pixabay

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5 réflexions sur “[Les coulisses : Pourquoi je relis The Hunger Games]”

  1. J’ai relu plusieurs fois Harry Potter mais je ne le fais plus depuis quelques années, depuis que je blogue en fait et qu’il y a une tonne de livres que j’ai envie de lire.
    Super analyse de Hunger Games que je me note de lire.

  2. Tellement de livres à découvrir, c’est certain. Mais certains livres ont tellement de facettes qu’ils permettent une relecture.
    Je pense que c’est le vrai signe d’un classique (ou d’un futur classique) : la richesse d’interprétations qu’il contient.
    & Si tu décides de lire The Hunger Games, bonne lecture 🙂

  3. J’ai lu plusieurs fois la trilogie et j’ai découvert assez récemment qu’un 4ème livre existe, un préquel basé sur Snow, « La Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur ». Ce livre devrait d’ailleurs être adapté au cinéma sous peu…

  4. Merci Sarah pour ton commentaire 🙂
    J’avais vu effectivement qu’il y avait une prequel. Mais trop peur d’être déçue donc je ne l’ai pas lue !

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