Debout près de la fenêtre de ma cuisine, je regarde ma rue et le boulevard plus loin. Je suis une privilégiée, je dispose d’une vue dégagée sur une intersection avec des platanes en contrebas qui m’offrent leur verdure et avec un beau morceau de ciel. Et des voisins.
J’observe les quatre appartements du dernier étage de l’immeuble sur le boulevard. Le voisin que je ne vois jamais. L’appartement d’un couple. Leur premier balconnet est occupé par une chaise de jardin verte, le second par un vélo. Elle est souvent assise dehors, ordinateur sur les genoux. Lui fait du sport dans le salon. J’ai toujours peur que le vélo, en équilibre sur le balcon, chute. L’appartement du deuxième couple. Quand ils fument sur leurs balcons, ils portent toujours la même tenue : des robes de chambre, bleue pour lui, marron pour elle. Je ne leur donne pas soixante ans, à eux deux. Enfin, le dernier appartement de la rangée, celui d’une retraitée qui fait fleurir son petit balcon.
J’observe l’appartement juste en face du mien sur la rue. Deux femmes. Une qui a rejoint l’autre après quelques semaines. Une brune, une blonde. La brune fait du sport vers 18 heures. La blonde reste souvent prendre le soleil sur le balcon filant après leur déjeuner. Elle est très équipée pour un mois d’avril à Paris : lunettes de soleil, crème solaire et paréo sur le maillot de bains.
Je découvre que les éboueurs passent vers 17 heures dans ma rue, je découvre que j’entends les oiseaux chanter sur le boulevard Voltaire si j’ouvre mes fenêtres le matin. Je n’étais jamais chez moi dans la journée en semaine.
A 20 heures, nombreux parmi nous ouvrent leurs fenêtres pour applaudir quelques instants ceux qui veillent sur nous et risquent leur santé. Il n’y a pas de fioritures, même si certains utilisent leurs casseroles et que la petite fille du deuxième étage de l’autre côté de la rue a un petit tambourin dans les mains.
Je jalouse les rues plus animées du 11e arrondissement. Un comédien organise « Questions pour un balcon » rue Saint Bernard, où, en mode Julien Lepers dans « Questions pour un champion », il fait s’affronter les voisins du côté pair et ceux du côté impair de la rue sur une dizaine de questions de culture générale. Et une lycéenne chante depuis son balcon rue Alexandre Dumas, guitare à la main, deux chansons tous les soirs. Je sais où aller à la prochaine fêtes des voisins.
Nous passons plus de temps chez nous. Nous passons plus de temps à nous observer, à nous jauger, à nous juger. Nous passons plus de temps chez nous.
Dans mon immeuble, il n’y a pas de groupe Whatsapp, ni d’entraide particulière. Ma sœur m’a rappelé que la femme de notre président de copropriété travaille à l’hôpital Saint Antoine. Ils doivent avoir des sujets de préoccupation plus importants que le voisinage.
Il y a quelques jours, je me félicitais du calme général de l’immeuble. Il y a bien de temps un temps un piano ou un saxophone et ma voisine du dessus aspire son appartement les samedis matins à 9 heures et de se dispute avec sa fille adolescente… mais rien de bien méchant. Depuis, mes voisins du dessous sont venus se plaindre. Ils m’entendent quand je parle (super fort) au téléphone et quand je fais les cent pas sur mon parquet ancien. Oups. Je n’aurais jamais pensé être la voisine bruyante.
Définitivement un printemps étrange.