L’horloge sur le quai de la station de train de Clot-Aragó, au nord-est de Barcelone, ressemblait toujours à un portail de voyage dans le temps, avec ses secondes tournant dans le sens opposé aux minutes.
Libérée de mon sac de voyage, je suis partie déjeuner. À la terrasse du bar-restaurant El viejo café, sous les platanes, après avoir salué sa propriétaire et commandé un menú del día, j’ai écouté mes voisins de table, deux couples d’une cinquantaine d’années, parler de leurs vies, de l’économie et du coronavirus, alternant au hasard de la discussion l’espagnol et le catalan. J’ai mangé du gazpacho en constatant, une nouvelle fois, que les lampadaires ont des silhouettes de palmiers.
J’ai levé les yeux vers les façades et les plantes qui décorent les immeubles de l’Eixample et j’ai observé des fenêtres ouvertes malgré la chaleur. Mon amie Maribel m’a écrit un rapide message « j’en suis au vermút avec des amis et ma mère. Allons ensemble à la plage après la sieste ». Les perruches vertes caquetaient depuis les feuillages. Mes vacances barcelonaises commençaient.
Nombreux sont ceux qui, en vertu d’une maison de famille ou d’habitudes installées, ont leurs repères estivaux, en bord de mer, à la montagne, ou dans un village. « Tous les étés depuis mon enfance. » « Des superbes souvenirs. » « Je retrouve les mêmes personnes tous les ans. ». Je l’entendais de mes amis, de certains membres de ma famille. Avec les étés à Barcelone, je comprends un peu mieux.
« On va à un chiringuito demain à Casteldefells. Un concert gratuit est organisé » ont proposé Maribel et Fabiana un peu plus tard. Je n’ai rien entendu après chiringuito, le mot qui signifie bar ou restaurant de plage en espagnol, car je disais déjà « oui ».
L’été à Barcelone, c’est l’odeur de la crème solaire, la fraîcheur transparente de la Méditerranée, le « est-ce qu’il y a des méduses aujourd’hui ? » lancé au secouriste sur son perchoir. C’est l’amertume du café au lait matinal alors que la chaleur monte, un magazine qui se froisse dans le sac, les serveuses qui me disent cariño ou guapa. C’est l’heure de la sieste, les animaux marins peints sous les voies du train de banlieue à Badalona, tous les chemins qui mènent à la plage. C’est les classiques, descendre les Ramblas pour rejoindre la Plaça Reial, s’échapper pour une journée à Gérone, faire une escale shopping au Corte Inglés. C’est les amitiés qui fleurissent comme dans un jardin, l’odeur des pins sous le soleil, les vieilles pierres ou du sable sous mes pieds.
Quand j’ai repris le train en direction de l’aéroport, l’horloge sur le quai de la station du Clot avançait toujours un peu en avant, et un peu en arrière.