Après Venise et son dédale de canaux sur la lagune, j’ai donné rendez-vous pour un café en bordure du canal Saint-Martin. Le canal traverse le 10e arrondissement du nord au sud, commençant au sud de la place Stalingrad, disparaissant près de la place de la République sous les arches du boulevard Richard-Lenoir et réapparaissant sur le port de l’Arsenal, juste après la place de la Bastille. Quelques kilomètres d’eau au milieu des immeubles, jalonnés par six passerelles, deux ponts tournants et les écluses. Les gares de l’Est et du Nord sont toutes proches et pourtant l’atmosphère en bordure de canal, avec ses petits parcs, ses boutiques et ses cafés, est plus tranquille.
Le canal est un ajout récent au paysage parisien, aménagé pendant le 19e siècle et connectant la Seine et le canal de l’Ourcq, initialement pour alimenter Paris en eau potable. Il permettrait aussi d’installer des industries utilisant des matériaux lourds, transportables par bateau, sur ses rives. Il a failli être enterré sous une autoroute nord-sud dans les années 1960, cousine du périphérique, mais le site est désormais protégé. Bien avant d’habiter dans l’Est parisien, je l’avais découvert, émerveillant, en regardant Amélie faire des ricochets sur ses eaux vertes dans le film Le fabuleux destin d’Amélie Poulain.
Pendant plusieurs années, quand je vivais à l’ouest du 11e arrondissement, ma balade du week-end consistait à emprunter les berges du canal pour me rendre jusqu’à la place Stalingrad, ou plus loin sur le canal de l’Ourcq, puis à prendre le chemin du retour sur l’autre rive. J’ai des souvenirs d’hivers où les mouettes marchaient sur les eaux gelées, de pique-niques estivaux assise sur les pavés, de brunchs au café Chez Prune et de sessions de shopping dans les rues qui se dessinent entre le canal et la place de la République.
Un déménagement a déplacé mon centre de gravité plus à l’Est, modifiant mes promenades. Je me ressource dans la verdure sur les rives du Lac Daumesnil au bois de Vincennes et me promène avec toujours autant de plaisir sur la promenade plantée. Mais le canal Saint-Martin est un lieu où je reviens toujours. Pour le voir vide pendant l’hiver 2016, lors de son grand nettoyage, où ne restaient dans la vase que des bouteilles, des vélos et d’autres objets délaissés par les Parisiens. Pour tremper mes pieds dans le canal de l’Ourcq une chaude journée de juillet en 2019. Pour continuer d’amener des amis visiter ce quartier qui a un charme fou. Pour profiter des dimanches après-midis où une partie des rues est fermée aux voitures.
Comme le Quartier Latin où j’ai habité pendant deux ans, le canal Saint-Martin appartient désormais à mon passé parisien.
Dimanche dernier, j’ai pris un café sur le canal avec une amie qui habite dans le quartier après plusieurs années en Suisse et en Angleterre. J’ai été surprise par la nouvelle couleur des passerelles, repeintes en gris (leur teinte originelle) pendant leur rénovation, au lieu du vert de mes souvenirs. « C’est ma balade du dimanche » m’a-t-elle confié quand nous nous sommes séparées sur le quai de Valmy après une grande boucle à pied dans le quartier. Il faut croire que tout s’équilibre. Et que tels les ricochets dans Amélie Poulain, le canal restera aussi dans ses souvenirs de Paris.
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