Depuis la fin de l’automne, je marche presque tous les jours à l’heure du déjeuner. Avec ma sœur ou une amie. Avec de la musique ou un podcast, si elles ne sont pas disponibles.
L’automne et l’hiver ne me découragent pas. J’enfile mes chaussures de randonnée. Un parapluie m’abrite. Le vent me change les idées. Un soleil froid me réchauffe le long des avenues et des boulevards. La seule prévision météo que je voudrais lire sur mon téléphone est celle de la buée sur les lunettes.
Je marche une heure, seule ou en duo. Une boucle ou un aller-retour. Mes pas tracent des itinéraires connus ou de nouvelles pistes.
En haut de la promenade plantée, cet ancien viaduc ferroviaire transformé en jardin, je m’imagine sur la Highline, sa petite sœur newyorkaise. Au Père-Lachaise, la tombe d’un ami du général San Martín me rappelle le cimetière de la Recoleta à Buenos Aires. Les bateaux et péniches du port de l’Arsenal évoquent les canaux des villes du nord, Copenhague ou Amsterdam. Une minuscule forêt de sapins place de la Bastille me transporte dans les Alpes. Une perruche verte mange un fruit de magnolia et je vois ses cousines nichées dans les palmiers de Barcelone. L’église de Saint-Germain de Charonne et la charmante rue Saint-Blaise en contrebas capturent un je-ne-sais-quoi d’un village disparu. Une cabine téléphonique rouge devant la mairie de Saint-Mandé me conduit directement à Londres.
Jules Renard a écrit qu’il y a des morceaux brisés du Paradis sur Terre. Il y a des fragments du monde dans Paris. Ils sont dans le décor, ils sont dans mes souvenirs.
J’ai de la chance. Ces voyages incroyables que j’ai faits. La chance, dans un moment où beaucoup se sentent isolés, d’aller marcher une heure avec un proche, pour discuter de l’actualité ou d’une série télé, pour repérer une nouvelle mercerie dans le quartier ou se prendre en photo (avec les masques) dans un décor presque parisien.
La mairie de Paris a affiché un message de vœux pour la nouvelle année partout dans la capitale. Une photo noir et blanc de la Tour Eiffel un jour gris avec un pigeon en premier plan. Moche. La ville de New York mène une campagne promotionnelle dans Paris ces jours-ci. Une photo de l’Empire State Building au coucher du soleil avec un message simple : New York vous attend. Pourquoi n’ont-ils pas proposé aux Parisiens un concours de photos pour les vœux ? J’aurais pris en photo l’affiche de Paris au lieu de celle de New York.
Depuis la fin de l’automne, je marche presque tous les jours à l’heure du déjeuner. La météo et les règles du confinement échappent à mon contrôle. Je marche. Si je suis accompagnée, j’écoute et je parle. Je photographie des plantes et des oiseaux, quelques dessins sur les murs et ces villes lointaines que je devine dans le paysage urbain si familier. Au milieu d’un océan d’incertitude, cette heure de marche est un îlot d’évidence.