Devant le gigantesque panneau des départs du terminal 2 de l’aéroport de Roissy, je me suis souvent imaginée aller au comptoir d’une compagnie aérienne et dire « je prends votre premier avion, quelle que soit la destination ». J’espère que ce vol m’amènera à la Nouvelle Orléans.
« Iras-tu en Louisiane ? » me demandait ma mère au début des années 2000, quand j’habitais Washington DC. Elle savait que je rêvais de me rendre à la Nouvelle Orléans, pas pour le jazz et Mardi Gras, le quartier français et le delta du Mississipi, mais à cause d’une série de romans, lus pendant mon adolescence. La Nouvelle Orléans était la ville des deux vampires imaginés par Anne Rice, Lestat de Lioncourt et Louis de Pointe du Lac, ces deux aristocrates français aussi exotiques pour le lectorat américain du 20e siècle que le transylvanien Dracula ne l’était pour les lecteurs britanniques de Bram Stoker. Mon guide de voyage ne serait pas le Routard ou le Lonely Planet mais Entretien avec un vampire.
Je ne suis pas partie à la Nouvelle Orléans cette année-là. Trop loin, trop cher. J’avais décrété qu’un week-end prolongé serait insuffisant et que la ville serait toujours là. Je n’avais jamais pensé que les digues cèderaient quelques mois plus tard, jamais pensé qu’un cyclone pourrait la dévaster.
Je considérais ce voyage début 2020, un mois d’août fait de rattrapages : quelques jours à Atlanta pour le concert d’un groupe de rock que j’aurais dû voir à Paris en 2003, puis la Nouvelle Orléans. Je n’avais jamais pensé que la ville (et le monde) deviendrait (à nouveau) inaccessible.
« Je te prête un roman », m’a dit ma sœur il y a quelques jours, en me tendant un livre à la couverture jaune et grise, The city of lost fortunes de Bryan Camp. « C’est de la fantasy, l’intrigue ressemble un peu à la série de romans sur le magicien à Londres [que nous lisons toutes les deux] ». Elle aurait dû me dire que le roman se déroulait à la Nouvelle Orléans. Le protagoniste mène une enquête après une partie de poker où il a affronté trois dieux, un ange et un vampire. Je l’ai lu en quelques jours, suivant les pas du héros dans les rues de la ville et en voiture par delà le lac Pontchartrain.
À la fin du livre, Bryan Camp explique la genèse de son récit. Tout a commencé avec cette image de la partie de poker. Cette scène lui a inspirée une nouvelle. En 2005, alors qu’il s’apprêtait à développer l’intrigue, sa ville natale a été ravagée par le cyclone Katrina. Les eaux du Golfe du Mexique et du Mississipi ont envahi la ville et son projet de roman, les transformant à jamais.
Anne Rice situe aussi l’origine d’Entretien avec un vampire dans une nouvelle, écrite à la fin des années 1960, quand elle vivait à San Francisco avec son mari et leurs enfants, loin de sa Nouvelle Orléans natale. Ce n’est qu’après le décès de sa fille Michelle, morte à 6 ans d’une leucémie, qu’elle a transformé sa nouvelle en roman, ajoutant le personnage de Claudia, un enfant-vampire de 6 ans, l’âme véritable du livre, inspirée par sa fille. La douleur et le deuil avaient envahi son récit, le transformant à jamais.
Je reste fascinée par cette ville entre terre et mer, cette ville aux racines françaises, africaines, espagnoles et américaines. Une ville de fêtes et de tragédies, individuelles et collectives. Une ville de jazz, dont les musiciens savent mieux que quiconque improviser, incorporer, adapter. Comme tous les habitants de la Nouvelle Orléans. Je n’y connais personne, à l’exception de quelques créatures imaginaires, mais ces romans sont mon invitation au voyage.
La Nouvelle Orléans revient aussi dans la série young adult 16 lunes qui avait été salement amputée lors de son adaptation au ciné sous le titre Sublimes Créatures. C’est une région à la culture passionnante. je comprends ton attrait pour elle 😉
Merci de m’avoir lu. Faudra que je re-checke cette série, j’en avais entendu parler 🙂