Le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles pourrait être mon animal totem, pressée d’arriver à destination, impatiente de répartir, mes pas suivant le même rythme que le tic-tac d’une montre à gousset.
En semaine, mon mode de transport était le métro, avec ses allers-retours vers mon lieu de travail et ses stops pour rejoindre un dîner ou une séance de cinéma. La même ville au bout des tunnels. À la surface, j’empruntais à pied les axes principaux, boulevards et avenues, rues commerçantes et grandes places. Le week-end, je restais le plus souvent dans mon cadrant de la capitale, je marchais vers le canal Saint-Martin ou le port de l’Arsenal, les quais de la Seine ou la Promenade plantée.
Depuis bientôt un an, je me promène quotidiennement (ou presque) à pied, seule ou avec ma sœur (nous habitons à quelques rues l’une de l’autre), dans l’Est parisien. Nos balades sont circulaires. Le temps est compté, tic-tac, mais parfois nous pouvons improviser. Et de cette constance, de cet usage, de cette répétition, surgissent de nouvelles habitudes.
Dans les rues arpentées des dizaines de fois, mes yeux cherchent la beauté. Les fleurs blanches d’un prunier en fleur, un animal imaginaire esquissé sur un mur, une part de gâteau dans la vitrine d’une pâtisserie. Les fleuristes m’offrent un festin digne de la plus belle des galeries d’art. Le parfum des mimosas, le camaïeu des humbles pensées, la promesse des bulbes à planter.
Petit à petit, les lieux des promenades se diversifient. Je retourne au Jardin des plantes, j’explore le 20e arrondissement au nord de la place Gambetta jusqu’au magnifique mural bleu peint en hommage à des héros de la Résistance, je découvre l’original parc de Bercy blotti entre les voies de train de la gare de Lyon et la Seine, j’observe les canards et les cygnes sur le lac de Saint-Mandé. Bientôt je réexaminerai les maisons de la Campagne à Paris, un quartier construit au-dessus d’une ancienne carrière de pierre. Dans mes souvenirs, des lilas couvrent les fenêtres et les oiseaux chantent plus fort que les échos du périphérique voisin.
Les reliques du passé artisanal et industriel du quartier se laissent plus facilement apprivoiser. En semaine, de nombreux passages, impasses et cours intérieures caractéristiques de l’Est parisien sont accessibles, leurs portes ouvertes pour employés, livreurs et curieux. Des ateliers, des bureaux, des boutiques et des lofts se succèdent dans les étroites cours pavées. J’en connaissais certains, de nouveaux se révèlent. La cour Damoye se cache à côté de la place de la Bastille. Des coursives en fonte donnent des allures de cloître industriel à un immeuble de brique et de bois en forme de U dissimulé derrière une façade haussmannienne de la rue de Charonne. Rue de Reuilly, les façades multicolores de la cour d’Alsace-Lorraine évoquent les couleurs chatoyantes des villes sud-américaines. Et au fond de l’impasse Mousset, le n° suivant de la rue de Reuilly, des vignes grimpent sur des petites maisons de deux étages et, pour un instant, je jurerais avoir quitté Paris.
Le lapin blanc pourrait être mon animal totem, pressée d’arriver à destination, impatiente de repartir. Mais ces jours-ci, je cultive un peu les vertus de mon homonyme la tortue.
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