L’auteur américain Orson Scott Card ouvre les portes à toutes les interprétations de ses romans. Il affirme que si ses lecteurs trouvent un sens nouveau à l’un de ses récits, même s’il n’y avait pas pensé lui-même en écrivant, alors cette version mérite examen et considération. Il faudrait que je relise son chef d’œuvre, La stratégie Ender (Ender’s game en VO), pour identifier des nouvelles significations à son intrigue construite autour d’une école militaire, d’une invasion extraterrestre et d’un système de télécommunications qui préfigurait l’Internet d’aujourd’hui (quand Internet n’existait que pour l’armée américaine).
Une chanson du groupe de rock irlandais U2, Where the streets have no name,a fait l’objet d’une multiplicité de lectures. Le leader du groupe, Bono, chante un lieu où les rues n’ont pas de nom, vers lequel il imagine s’échapper. Nombreux voient dans cette destination mystérieuse le Paradis, l’influence du catholicisme sur U2 étant indéniable et quelques critiques musicaux les qualifiant de groupe de rock chrétien, au moins à leurs débuts. D’autres figurent Jérusalem et trouvent une confirmation dans les paroles qui évoquent un lieu surplombant une plaine désertique. Certains ont approfondi les influences de Bono. Les villages de l’Afrique australe dans lesquels il s’était rendu avec sa femme lors de missions humanitaires dans les années 1980. Et une interview où il aurait évoqué Belfast, une ville où l’adresse d’une personne permet de savoir si cette personne est protestante ou catholique, riche ou pauvre : la capitale nord-irlandaise lui aurait inspiré ce rêve d’un lieu de fraternité où les rues n’ont pas de nom. J’aime aussi l’idée que l’endroit décrit par la chanson pourrait être une ville en Asie. Après tout, dans de nombreuses villes en Chine ou au Japon, les rues n’avaient pas de noms. Seuls étaient désignés les quartiers, les pâtés de maisons, les édifices, les temples et palais, les maisons, les parcs, etc. Ce qui était visible avait un nom, ce qui était vide n’avait pas de nom. Donner un nom à une rue ressemble à inventer le zéro : nommer l’absence.
Je chantais avec Bono dans les rues de Tokyo et Orson Scott Card dirait que nous avons tous raison, que toutes les interprétations sont là.
La deuxième montagne la plus haute du monde après l’Everest s’élève à 8 600 mètres d’altitude au cœur de l’Himalaya. Son nom, K2, est un code, celui que lui avaient donné les topographes de l’Empire britannique lors de leur long travail de cartographie de la région. K2 pour désigner le deuxième sommet de la chaîne du Karakoram dans lequel se situe la montagne. « Karakoram 2 ». La légende (et Wikipédia) dit que la montagne n’avait pas de noms dans les langues locales, se situant à plusieurs jours de marche des villages habités les plus proches et invisible de loin. Comment les habitants de la région auraient-ils pu nommer une montagne non discernable à l’horizon, cachée qu’elle était par les sommets voisins et se fondant dans les nuages ?
Et moi, comme invitée par Orson Scott Card, je me demande quel sens donner à l’existence d’une montagne sans nom. À moins que ce ne soit un rappel que sur la page blanche, tout ce qui n’a pas -encore- de nom… n’existe pas -encore-.
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