Comme tous les matins, mon ordinateur affiche la presse internationale. Un café fume. Le ciel est gris et blanc sur les toits d’ardoise. Je lis les dernières nouvelles relatives aux élections sénatoriales en Géorgie qui ont eu lieu hier. Une victoire pour les Démocrates pour la première. Un too close to call pour la seconde. Je fredonne Georgia on my mind avec l’incomparable Ray Charles.
J’ai passé deux week-ends à Atlanta. À chaque fois, les couleurs de l’automne, les décorations d’Halloween sous les porches et l’accueil d’une amie de presque 20 ans et de sa famille.
Fin 2020, j’ai relu pour la première fois depuis mon adolescence Autant en emporte le vent (Gone with the wind en VO) de Margaret Mitchell. Deuxième livre le plus populaire aux États-Unis après la Bible, publié en 1936 et adapté au cinéma en 1939 avec Vivien Leigh et Clark Gable, le roman raconte la vie de Scarlett O’Hara pendant la guerre de Sécession et la Reconstruction, de 1861 à 1873 environ, et se déroule à Atlanta et dans un comté voisin où se trouve Tara, la plantation des O’Hara.
La relation passionnelle de Scarlett O’Hara et de Rhett Butler reste le cœur du livre, la toile d’araignée qui attrape les lecteurs. Je n’ai pas été surprise –malheureusement– par l’effroyable racisme du roman envers les noirs, reflet de la période historique et du Sud ségrégationniste de Margaret Mitchell. Les blancs pauvres sont qualifiés de white trash. La violence est omniprésente, celle de l’esclavage, celle de la guerre. Et, insidieusement, le Sud d’avant-guerre est dépeint comme le paradis perdu.
Ma relecture contenait aussi des découvertes, des éléments de l’intrigue qui avaient échappé à l’adolescente que j’étais. L’économie extractive des plantations de coton ou de canne à sucre, pour laquelle la main d’œuvre gratuite des esclaves est fondamentale et, en corollaire, le sous-développement économique du Sud, diagnostiqué crânement par Rhett Butler au début du roman quand il affirme que les Confédérés vont perdre la guerre car ils n’ont pas les industries des États de l’Union. L’histoire d’Atlanta, ville fondée sur un nouveau nœud ferroviaire, avant de devenir un hub aérien. L’apparition menaçante du Ku Klux Klan, auquel appartient le deuxième mari de Scarlett ainsi que de nombreux amis et voisins. Et surtout, le droit de vote. Pendant la Reconstruction, les anciens hauts gradés de l’armée confédérée en sont privés. De nombreux autres blancs doivent jurer sur l’honneur avoir soutenu l’Union pour pouvoir voter. Et le droit de vote tout juste acquis par les noirs va être vite balayé par des mesures de privation de droit : intimidations, scrutins censitaires, tests sur le niveau scolaire, etc. Margaret Mitchell avait tort : notre passé ne part pas avec le vent, au contraire, il prend racine.
Mais en refermant le roman, après m’être immergée dans la Géorgie fictionnelle de Margaret Mitchell, je veux retenir l’énergie incroyable de Scarlett et de tous les personnages féminins d’Autant en emporte le vent. Les soldats partent et reviennent, blessés ou morts, les soldats sont prisonniers dans le Nord, les soldats sont portés disparus sur des listes sans fin. Mais les femmes restent. Scarlett vend ses bijoux, éteint les flammes que les soldats yankees ont allumées dans la cuisine de Tara. Elle cueille le coton. Elle dirige la plantation familiale et un négoce de bois qu’elle développe seule à Atlanta. Elle se sacrifie pour garantir la sécurité physique et financière de sa famille et elle dit « demain est un autre jour ». La mère de Margaret Mitchell militait dans les mouvements favorables au droit de vote des femmes, sa fille crée des héroïnes à leur mesure.
J’imagine retourner un jour en Géorgie. Atlanta, une escapade à Savannah. Il y a un musée Margaret Mitchell. Ray Charles chante pour moi. Georgia… Georgia… No peace I find… Just an old sweet song… keeps Georgia on my mind. J’arrête mes rêveries. Le café va être froid.
(Photo : Vivien Leigh dans le film Autant en emporte le vent)
Le passé s’enracine et laisse des traces. Il en reste encore pas mal de cette époque-là dans la région de Savannah. Dans le paysage, dans les habitudes…
Ah Savannah… c’est la force des livres, nous permettre de voyager quand nous ne pouvons pas le faire. J’ai l’impression d’y être déjà allée!
Merci Caroline pour cette lettre qui me rappelle bien des souvenirs. J’ai passé trois mois à Atlanta et j’ai pu découvrir cette magnifique région ainsi que Savannah, Chattahoochee national Forest, le sud et son histoire, la maison de Martin Luther King et tellement de beaux paysages. Ce livre est un monument mais je déconseille fortement la suite (écrite après la mort de Margaret Mitchell, quelle idée !!) Lorsque l’on voit ce qu’il s’est passé à Washington le 6 janvier, on se dit que le passé est vraiment très ancré dans le pire et parfois le meilleur.
Merci de tes conseils Mirelle, que je note pour un futur voyage. Pour le moment je n’ai vu que le quotidien d’une « soccer mom » (ma copine C) en banlieue d’Atlanta. J’avais lu la suite (Scarlett) mais je ne la relirai pas : pas de la grande littérature, effectivement.
Le passé reste… et l’ignorer est dangereux.
Très belle chronique sur ce roman. Le passé c’est le présent et c’est aussi l’un des thèmes de mon nouveau roman. Amicalement. Chris
Merci Chris!
J’ai hâte de le lire, comme tu le sais… ah le charme des polars…