Le bruit des choses qui tombent

Il m’a fallu un an pour réaliser que j’étais la seule à courir pour attraper le métro à Washington DC. Il m’a fallu 8 heures devant un documentaire sur les Beatles pour me rendre compte que je ne les avais pas entendu faire un seul échauffement vocal alors qu’ils enregistraient un album. Mais parfois une page d’un livre atteint directement sa cible.

Le roman Le bruit des choses qui tombent (El ruido de las cosas al caer en VO) de l’auteur colombien Juan Gabriel Vásquez démarre quand un hippopotame échappé de l’ancienne hacienda de Pablo Escobar meurt par balles à la fin des années 2000. Le narcotrafiquant avait créé un zoo ouvert au public dans sa résidence, l’hacienda Nápoles. Le narrateur se souvient des années 1990 à Bogota, marquées par les règlements de compte et la violence. Le récit rembobine ensuite pour aborder les années 1960 et 1970 avec le début du trafic de drogue, qui s’amorce avec la marijuana et connaît un développement accéléré avec l’arrivée de la cocaïne, plus facile à transporter vers les USA et beaucoup plus rentable. 

L’intrigue est facile à suivre, avec un récit centré sur des personnages ordinaires et des clés historiques suffisantes pour comprendre l’histoire récente de la Colombie sans que le livre ne devienne un cours.

Le narrateur se rappelle des pires heures de la violence à Bogotá avec une jeune femme de son âge. Ils se souviennent où ils étaient lors des assassinats d’hommes politiques, de magistrats. Ils se rappellent qu’ils vivaient à l’intérieur, dans les appartements et les maisons, toujours dans les maisons d’amis, d’amis d’amis, de quasi-étrangers, etc. L’extérieur était trop dangereux, les balles perdues menaçantes. Tout le monde dépendait des téléphones publics pour prévenir d’un « OK, je suis arrivé ». De parfaits inconnus ouvraient leur porte à quiconque leur demandait d’entrer dans leur domicile pour téléphoner. Chacun voulait rassurer ses proches et être tranquillisé à son tour.

Il m’a fallu un an pour réaliser que j’étais la seule à courir pour attraper le métro à Washington DC. Je voyais le train entrer dans la station et je sprintais vers la passerelle qui me permettait d’accéder au quai opposé et au train. Les Washingtoniens et les touristes prenaient leur temps, le suivant arriverait dans 3 minutes.

Il m’a fallu 8 heures devant un documentaire sur les Beatles pour me rendre compte que je ne les avais pas entendu faire un seul échauffement vocal alors qu’ils enregistraient un album. Je les ai vus accorder leurs instruments, composer des dizaines de chansons, parler techniques d’enregistrement et de cinéma avec leur équipe de production. Mais je ne les ai pas entendus faire une seule vocalise, même les jours où John Lennon se plaignait de sa voix « flinguée » et que Paul McCartney se demandait s’il n’avait pas attrapé la grippe de Hong Kong. J’étais trop distraite par tout ce qu’il se passait à l’écran.

Mais la page de Juan Gabriel Vásquez a atteint directement sa cible. Car la peur qu’il décrit dans son roman je la reconnais. À chaque fois que je prends un métro ou un train en direction du quartier d’affaires de La Défense le matin à l’heure de pointe. La possibilité d’un attentat. Une peur qui ne fait pas de bruit mais qui est assourdissante, comme le bruit des choses qui tombent.

Image de roegger de Pixabay


J’ai aussi publié un article sur 40 leçons de créativité imparties par les Beatles dans le documentaire « Get back » : à lire ici.

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