Les éditeurs du Larousse et du Robert ont annoncé les nouveaux mots qu’ils intègrent à leurs dictionnaires, influencés, une année de plus, par la pandémie. Parmi eux figurent déconfinement et reconfinement, asymptomatique, cluster -un anglicisme assumé- ou coronapiste -le nom donné aux pistes cyclables inaugurées pour les anciens usagers des transports en commun désireux de rester à l’air libre-.
Les mots déterminent notre manière de percevoir le monde. Le bilinguisme m’a appris à jongler entre les possibilités que m’offrent plusieurs langues. Quand ma sœur et moi voyons des Parisiens assis à même le sol avec leurs verres d’apéritif devant un jardin du 11e arrondissement, nous pensons instantanément botellón (littéralement, « la grande bouteille » en espagnol), le mot qui capture la coutume des jeunes Espagnols de s’installer en groupes dehors avec de l’alcool et des cigarettes à partager. Et même sans mots intraduisibles, les psychologues conseillent d’identifier, de nommer le plus précisément possible nos émotions et nos réactions, de ne pas sur-réagir ou sous-réagir en n’utilisant pas les qualificatifs appropriés.
Je collectionne les mots de la pandémie dans une liste fondée sur le hasard, les médias et les conversations que j’écoute : triage, immunité, quatorzaine, distanciel, présentiel, variant, etc. J’y ajoute aussi des expressions plus mystérieuses, dignes de la novlangue inventée par George Orwell dans son roman 1984 : aplatir la courbe, gestes barrières, travailleurs de première ligne, commerces essentiels, cas contact, etc.
Je la complète des vocables utilisés par le gouvernement qui mériteraient peut-être d’intégrer la doublepensée orwellienne. Le conseil de défense sanitaire est un dérivé du conseil des ministres. L’été dernier, les villes du littoral devaient instaurer des plages dynamiques, c’est-à-dire des plages où les vacanciers ne seraient pas allongés sur leurs serviettes de plage à prendre le soleil mais en mouvement, occupés par des activités sportives. Le ministère de l’éducation nationale souhaitait instaurer des vacances apprenantes, où enfants et adolescents rattraperaient les semaines d’enseignement perturbé par le premier confinement et l’instauration de l’école à distance. Et cette année, le gouvernement a inventé le confinement à l’extérieur pour nous encourager à passer plus de temps dehors que dans des intérieurs potentiellement contaminés par le virus et des week-ends de tolérance où les déplacements au-delà des 10 km du confinement seraient tolérés en invoquant certains motifs, en particulier liés au transport d’enfants (chez leurs parents, chez leurs grands-parents).
L’année dernière, je rêvais -cauchemardais ?- que je dépassais l’heure maximum permise par mon autorisation de sortie. Ce printemps, j’ai rêvé -cauchemardé ?- que j’étais embauchée par l’Élysée. En arrivant dans les bureaux présidentiels pour mon premier jour de travail, j’apprenais que ma fonction n’était pas encore définie et que je connaîtrais mon rôle dans quelques semaines. L’Absurdistan du gouvernement français semble atteindre mon inconscient.
J’ai rêvé aussi que je recevais le vaccin, non pas celui de Moderna, Pfizer ou AstraZeneca-Oxford, mais celui de l’université de Harvard. Quelques jours plus tard, j’ai rêvé que je recevais la seconde dose, mais sans savoir si c’était une dose du même vaccin. Dans mon inconscient, comme dans le mythe antique de Pandore, le mot qui reste dans la boîte, le mot qui demeure, est un mot qui figure depuis longtemps dans le dictionnaire : espoir.
Image par Luisella Planeta Leoni de Pixabay