« Le foot a bien repris ! » s’exclame Ángeles. Je retrouve mes copines de Barcelone pour un appel vidéo, le premier en plusieurs semaines. Nous avons évoqué le (quasi) reconfinement de Barcelone et la crise économique qui arrive. Nous avons décrit nos projets pour l’été.
« Cuando se quiere, se puede (quand on veut, on peut) » je renchéris. La fédération espagnole de football a défendu son poids dans le PIB national (1,5% contre les 15% du tourisme) et l’attachement des Espagnols à leurs clubs pour relancer la compétition interrompue début mars. Des matchs sans public mais préservant les droits télé, alors que les joueurs ont renoncé à une partie de leurs salaires. Un protocole sanitaire publié dans le Journal officiel, incluant des tests de dépistage plusieurs fois par semaine pour tous les participants : joueurs, staffs techniques, arbitres et journalistes. Les onze dernières semaines du championnat, la Liga, ont été concentrées sur cinq semaines entre mi-juin et mi-juillet.
Nausica tourne les yeux vers moi et me dit « tu dois être contente, non ? » et je ris. « Absolument, j’ai regardé tous les matchs de mon équipe » je lui réponds avec un sourire. « Même si j’aurais préféré qu’ils utilisent les tests de dépistage pour les gens ».
Deux fois par semaine, le Real Madrid, mon club, jouait à vingt-deux heures. Dans les stades presque vides, les micros des télévisions captaient tout : les impacts sourds des chaussures à crampon sur le ballon, les appels et les sifflements des joueurs, les consignes et les colères des entraîneurs, les insultes aux arbitres, les encouragements des suppléants de chaque équipe (assis masqués dans les gradins)… et les cris, après un but ou un mauvais tacle.
J’ai regardé tous les matchs en « virtuel » : comme dans les jeux vidéo, de faux spectateurs dans les gradins et des chants de supporteurs préenregistrés étaient ajoutés à la retransmission. Les joueurs ne portaient pas de masques sur le terrain et ne respectaient ni les gestes barrières ni la distance sociale. Un public virtuel pour un monde virtuel.
Des nouveautés ont été introduites pour faire face au rythme de la compétition et à la chaleur de l’été : cinq changements possibles (contre trois habituellement) et deux « pauses d’hydratation » qui ressemblaient à des temps morts de basketball, avec tous les joueurs regroupés autour de l’entraîneur pendant trois minutes. Les joueurs du Barça étaient trahis par leur langage corporel pendant ces pauses : ils n’écoutaient pas leurs coachs, Messi détournait les yeux et le cœur.
« Le Real a réussi sa reprise (ils utilisent le mot français rentrée) car il a réussi son confinement » expliquaient les commentateurs sportifs espagnols lors des émissions post-matchs, détaillant les entraînements par visio-conférence pendant les trois mois d’arrêt. Je les écoutais les lendemains de match, en longeant la Seine.
« Je retiens l’expression que répétait sans cesse l’un des entraîneurs… » reprend Ángeles, et nous comprenons toutes qu’elle ne parle plus de football. « Prendre les choses les unes après les autres, prendre les choses match après match, partido a partido… » Elle cite Simeone, l’entraîneur de l’Atlético de Madrid.
Je suis contente, comme le souligne Nausica, car le Real a remporté le championnat jeudi soir dernier avec les joueurs de siempre (de toujours), après dix victoires et un match nul, joués avec la même envie de gagner, match après match. À la veille du match décisif, Zidane expliquait en conférence de presse : « quand on est rentrés, j’ai vu quelque chose de nouveau, les joueurs avaient envie de rester plus longtemps à l’entraînement ». Le football leur avait manqué. À moi aussi.
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