« Mais le printemps renaît qui n’en a pas fini / Un bourgeon sort du noir et la chaleur s’installe » Paul Éluard
Le ciel bleu et les arbres en fleur m’invitent à la promenade. Mais ils me suggèrent aussi une activité plus modeste : ranger mon appartement.
Le nettoyage de printemps se serait imposé en Europe de l’ouest par vertu du climat. Après un hiver passé à brûler du bois ou du charbon dans des intérieurs calfeutrés contre le froid, il était temps de se débarrasser de la cendre et de la suie en ouvrant grand portes et fenêtres. La douceur de l’air permettait d’aérer et l’absence d’insectes trop nombreux dehors facilitait la tâche. Les calendriers religieux, souvent sages et fidèles à la météo, ont incorporé des traditions d’assainissement au Carême ou à la Pâque juive.
Pour la deuxième année consécutive, l’arrivée du printemps a coïncidé avec des restrictions. Mon univers a rétréci. 10 km cette fois-ci. Assez pour englober presque la totalité de Paris et du bois de Vincennes. Assez pour user mes pas. Le gouvernement affirme qu’il s’agit d’une « troisième voie », que nous sommes « confinés à l’extérieur ». J’ai ouvert mes placards et vidé des étagères, trié des notes prises lors de cours oubliés, des bulletins ou des vieux journaux.
Adolescente, je pouvais passer des après-midis entiers à réorganiser les meubles et les livres et les bibelots dans ma chambre. Je ne l’aurais jamais exprimé comme cela mais j’exerçais ainsi une forme de contrôle sur les choses qui m’entouraient. Et je continue aujourd’hui, avec le printemps qui m’encourage depuis mes fenêtres. Je ne maîtrise presque rien de ce qu’il se passe hors de mon appartement mais ma collection de lettres et de cartes postales est soigneusement ordonnée selon les périodes et les adresses où elles m’ont été envoyées.
Le rappeur américain Eminem a dédié plusieurs titres aux relations qu’il entretient avec sa famille. Un des plus marquants révélait au grand jour les secrets derrière les photos jaunies : son père qui l’a abandonné, sa mère et ses addictions, son ex-femme qu’il a failli assassiner dans un accès de jalousie. La chanson s’appelle Cleanin’ up my closet (En rangeant mon placard). Je ne suis pas étonnée de toutes les révélations et plaintes qui émergent actuellement dans les médias et devant la justice. Il est temps d’amener de la lumière et du bruit là où régnaient l’ombre et le silence. Il est temps de faire le ménage. Certains ont commencé par organiser une collection de DVD ou les étagères de leur cuisine et ont fini par remettre en cause le statu quo.
Le printemps est arrivé. Il nous invite à la promenade. Il nous attire avec ses feuilles et ses fleurs délicates, avec sa promesse de renouveau. Il nous incite à remettre de l’ordre, dans nos possessions matérielles, dans nos vies, dans le monde qui nous entoure. Et par un bel effet de miroir, l’ordre extérieur contribue, pour un bref et précieux instant, à une forme de paix intérieure.