Oranges amères

Le sud de l’Espagne est couvert de vergers d’agrumes, orangers, citronniers ou mandariniers. Les arbres sont présents dans les campagnes, mais aussi dans les villes. La côte méditerranéenne près de Valence porte le nom de Costa del azahar, la Côte de la fleur d’oranger (azahar, le mot espagnol qui désigne la fleur d’oranger, a une étymologie arabe).

50 000 orangers poussent dans Séville, plantés en pleine terre le long des boulevards, sur les places et dans les jardins. Leurs fleurs parfument la ville au printemps et leurs fruits la colorent de l’automne à l’hiver. Fin décembre, sous la pluie, quelques rues sentaient le jus d’orange.

La plupart de ces arbres urbains produisent des oranges amères, une variété moins sucrée que les oranges consommées comme dessert. L’ambassadeur d’Espagne au Royaume-Uni a ainsi préparé de la confiture d’oranges amères pour l’offrir à la reine Elizabeth II avec des fruits provenant des jardins du palais de l’Alcazar à Séville, renouant avec une tradition de la couronne espagnole. Mais que deviennent les autres oranges de Séville ? Les 6 tonnes de fruits produits chaque année ? 

Les habitants ont interdiction de cueillir ou ramasser les oranges et de les consommer. Les fruits seraient impropres à l’alimentation humaine car contaminés par la pollution automobile (mais que dire d’un verger en bordure d’une autoroute par rapport à des orangers situés dans un parc municipal ou dans une place interdite aux voitures ?). Les fruits sont ramassés et deviennent compost, biogaz, ou, mieux, nourriture pour des caprins ou des composants pour l’industrie cosmétique… jamais de la marmelade. Certaines municipalités commencent même à planter des variétés décoratives dont les fruits n’ont pas de pulpe.

Qui ne rêverait pas de cueillir les fruits qui ont poussé dans sa rue ? Ou que les récoltes soient testées en polluants et transformées selon leur niveau de contamination ? Est-ce que ces oranges ne représentent pas d’autres opportunités ? De la nourriture pour ceux qui en manque ? Des emplois pour transformer les récoltes ?  N’aurais-je pas aimé rapporter une confiture hecha en Sevilla de mon dernier séjour avec une étiquette indiquant la provenance des fruits dans un quartier de la capitale andalouse ? Ne peut-on pas imaginer d’autres solutions que détruire ces fruits ? Quel gâchis.

L’Andalousie aurait pu devenir la Californie de l’Europe. Pour le moment, elle vit de l’agriculture et du tourisme, comme sa lointaine cousine américaine, mais elle n’a pas sa Silicon Valley. Le taux de chômage avoisine les 30% dans certaines villes de la région. Ne peut-on pas imaginer d’autres futurs pour les Andalous que le chômage ou le départ, que ce soit vers une autre région espagnole ou vers l’étranger ? Quel gâchis.

Les côtes africaines et européennes se dressent de part et d’autre du détroit de Gibraltar avec leurs ports étincelants et leurs montagnes aux 900 mètres d’altitude. Des milliers de personnes sont mortes dans les eaux mélangeant Méditerranée et Atlantique dans l’espoir d’atteindre la rive européenne. Ne peut-on pas trouver des solutions ? Imaginer ensemble un avenir meilleur ? Quel gâchis.

Le long de la plage de Tarifa, un poème dessiné sur un mur blanc scandait : « Que cherchent-ils ? Peut-être trouver le reflet exact, les yeux de l’ami, l’eau d’un fleuve. Peut-être cherchent-ils à tracer un chemin, simplement, pour défier la chance et s’inventer un destin ». Et je pense que le poète parlait des rescapés du détroit. Et je pense que le poète parlait de tous ces destins à réinventer. Et des oranges amères.

Images : Hans de Pixabay (orangers), Caroline Leblanc (mur de Tarifa)

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4 réflexions sur “Oranges amères”

  1. Gâchis… sûrement, mais tellement de gâchis ailleurs également et sous toutes les formes.
    L’Andalousie, les avenues de Séville les oranges et les fous du vent de Tarifa… eh bien voilà, tu me donnes envie de faire le plein de notre Raymond* et de descendre illico plein sud, c’est maintenant qu’il est bon d’y aller, pas dans la fournaise du mois d’aout et de ses foules…

    *oui, notre camping-car s’appelle « Raymond » je sais, ça peut paraître ridicule.

    Bleck

  2. Il y avait beaucoup de camping-caristes à Tarifa, Raymond sera dans son élémént ! Et effectivement, j’ai eu l’impression que c’était un moment calme pour y aller. Pas trop de monde et, par chance pour les touristes, pas trop de vent 🙂

  3. Mon dieu qu’elles étaient amères ces oranges Caroline…
    Malheureusement, au delà des oranges, c’est tout ce voyage qui fut d’une amertume effroyable

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