Nombreux sont ceux qui voudraient effacer 2020. Une année marquée par la destruction que les êtres humains opèrent sur la planète, qu’elle déclenche des feux géants, des glaciers fondus ou une pandémie. Une année comme une longue suite de drames. Il ne manque plus que la 3ème guerre mondiale et que les extraterrestres atterrissent. Nombreux sont ceux qui voudraient exorciser 2020. Détruire des symboles de cette année, les listes de projets jamais accomplis, les tenues de confinement trop portées ou toute autre vengeance contre l’incertitude qui a envahi nos calendriers. Sortir un briquet et un jerricane, au sens figuré, mais parfois aussi au sens propre.
En janvier, j’avais imaginé l’année qui commençait. La visite d’une amie américaine au printemps, des week-ends pour chanter à Barcelone et à Bruxelles, des séjours à l’étranger, un concert de rock à Atlanta début août et la lecture du dernier tome d’une série de livres de fantasy commencée en 2019. Des balises sur ma route de l’année. Rien ou presque n’a été possible. Même Tad Williams a reporté à 2021 la publication de son bouquin dont les 1.000 pages auraient été bienvenues pour ce deuxième confinement.
Je n’ai rien détruit, je n’ai rien brûlé.
J’ai écrit les noms des douze mois de l’année sur une feuille de papier. Et à côté des dix premiers, j’ai écrit un ou plusieurs souvenirs positifs ou mémorables. Je suis une privilégiée, si la crise actuelle est une vague, elle touche mes orteils. J’ai complété mon calendrier. L’anniversaire d’une amie de Barcelone en avril, tous réunis sur Zoom avec des bulles et de la bonne humeur. Les week-ends arrachés à l’épidémie en juin et en juillet. La progressive traduction de mon livre à l’espagnol, avec l’aide d’une copine du lycée. Les plages normandes quand Paris traversait la canicule. Un tiramisu saupoudré de cacao mangé sur un banc public du 11e avec une amie et voisine un soir de mai.
J’ai sauvé l’année des flammes, j’ai sauvé mes souvenirs par la magie de quelques mots griffonnés, j’ai sauvé ce qui dépendait de moi au milieu d’un brasier de déceptions et d’incertitude.
Il y a dix jours, j’ai reçu une terrible nouvelle de mes camarades de la chorale gospel de Barcelone. Luci, la mezzo-soprano italienne qui nous apportait sans faute du limoncello, Luci qui aimait tant nous faire rire, venait de mourir. Rupture d’anévrisme. Elle laisse derrière elle son mari, un Catalan rencontré au début des programmes Erasmus, et leur jeune fils. Dix jours que je suis sous le choc, incapable de prononcer son nom à haute voix. Dix jours que je songe au concert‑hommage que nous lui rendrons un jour, dans le quartier de l’Eixample qu’elle aimait tant. En juin, nous aurions dû chanter ensemble à la Sagrada Família.
Août était une de mes balises. Je m’imaginais à Atlanta au milieu du public d’un concert de rock. Dans son dernier album en solo, le chanteur du groupe proclame qu’il n’a pas peur de vieillir, car il compte les jours pour ne pas mourir jeune.
Je sauve l’année des flammes. Je sauve chaque jour des flammes.
Image par Comfreak de Pixabay
Trop joli texte comme il en faudrait plus au lieu de nous montrer que les gens déprimés, les gens qui n’en peuvent plus.
Oui il y a du bon dans tout même dans cette pandémie.
Oui il y a de la tristesse aussi, des souffrances, mais c’est le lot de toute vie, de toutes les années également.
Courage à vous pour surmonter cette douleur et cette perte.
Merci beaucoup Bernie. Je suis aussi de l’école des optimistes & de ceux qui pensent que les mots aident à guérir. A bientôt sur Twitter & sur le blog.
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