Dans le cortège

« Si on marche sur le trottoir, on ne sera pas comptées » dit une jeune fille à sa mère. Comme lors de chaque manifestation en France, le nombre de participants fera l’objet d’estimations, « selon la police » et « selon les organisateurs », pour mesurer l’ampleur de la mobilisation.

J’ai quitté le quartier des manifestations, mon 11e arrondissement, et j’ai rejoint la Rive Gauche par le Pont d’Austerlitz. Ma sœur a ironisé d’un « Tu ne joues pas à domicile ». Il est vrai que je pensais manifester en bas de chez moi, dans mon quartier. J’ai chaussé mes chaussures de marche et j’ai retrouvé une amie devant le métro Campo Formio. Le soleil et la bonne ambiance collective nous attendent également. Nous court-circuitons la Place d’Italie, le point de départ de la manifestation, et nous rejoignons directement l’avenue des Gobelins, ce morceau de 13e arrondissement que je connais mal. Nous marchons et nous bavardons, observant les manifestants autour de nous. Je collectionne des instantanées.

Je prends mon premier cliché, la banderole d’archéologues qui contestent leur avenir précaire devant un monument historique, la façade somptueuse de la Manufacture des Gobelins, fleuron de la tapisserie française depuis le 17e siècle. L’air transporte une odeur de merguez grillées. Tout le monde ne fait pas grève, des stands vendant boissons et nourriture jalonnent le parcours. La plupart des commerces sont ouverts sur les avenues et boulevards.

Le cortège mélange les organisations syndicales, CGT, Sud, quelques antennes de partis politiques de gauche, des lycéens et des étudiants, des anonymes comme nous, sans drapeau ni signe distinctif. Les manifestants sont de tous les âges, d’enfants dans des poussettes à des personnes âgées. Boulevard de Port-Royal, des fumigènes brûlent, répandant une fumée âcre vers nous. Nous nous éloignons de cette section malgré la musique entraînante diffusée depuis des hauts parleurs et les panneaux aux messages féministes dont nous partageons les revendications. Nous rions d’un simple « Eh Manu, tu descends ? » tracé sur un carton. Le jeune homme qui le brandit vers le ciel n’était pas né quand nous écoutions les sketchs des Inconnus.

Nous sommes sur le boulevard du Montparnasse quand je vois sur ma droite une agence BNP ouverte. Je ne retiens pas mon exclamation « Ils n’ont peur de rien. Leurs collègues du boulevard des manifestations ne les ont pas avertis ? » Sur le boulevard Voltaire, dans le 11e, les banques sont la cible préférée des manifestants : des tags, des autocollants, voire des bris de vitres et des dégradations plus importantes. Je trouve la réponse à ma question deux pas plus loin : la rue perpendiculaire regorge de CRS carapaçonnés, un œil sur la foule, un œil sur l’agence bancaire.

Je suis stupéfaite de voir un restaurant, La Rotonde, totalement barricadé et protégé par d’autres policiers. « Macron a fêté à La Rotonde son élection en 2017 » m’a soufflé ma sœur dans la soirée. « Le Fouquet’s du pauvre » ai-je répliqué. Quelques mètres plus loin, un passant tend son téléphone à une photographe qui a grimpé sur le toit d’un abribus pour qu’elle lui prenne une photo du boulevard noir de monde. Combien sommes-nous dans le cortège ?   

Nous court-circuitons la fin de la manifestation et, au dernier virage, nous empruntons un chemin de traverse vers les cossues avenues du 7e arrondissement. Le métro nous ramènera vers l’est de Paris. Il fait froid, la nuit commence à tomber. Et, je l’espère, nous avons été comptées.

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