Nous allions marcher en famille dans le cimetière de La Recoleta. Nous habitions dans la banlieue de Buenos Aires mais les samedis matin nous trouvaient souvent dans le centre historique de la capitale argentine et parfois dans ce lieu paisible, regroupant monuments, verdure et Histoire. Je n’éprouvais aucun sentiment d’étrangeté ou de malaise parmi les mausolées et les tombes.
Presque chaque semaine, je me promène dans le cimetière du Père-Lachaise à Paris. Je l’ai visité il y a une dizaine d’années avec un guide, dans un Who’s who des célébrités qui reposent entre ces hauts murs. Chopin, La Fontaine, Jim Morrison ou Oscar Wilde. Je m’y rendais très occasionnellement mais je l’ai redécouvert quand il était le seul espace vert situé à moins d’un kilomètre de mon appartement.
Je traverse le cimetière du nord au sud, en descendant vers le boulevard de Ménilmontant. Mes pas ralentissent sur les pavés irréguliers des allées et chemins. Je bavarde avec ma sœur si nous nous promenons ensemble. J’écoute de la musique ou un podcast si je suis seule. Je savoure d’être, pour un instant, loin de l’agitation de la ville. Je me recueille devant les tombes de mes héros personnels, George Sand, Paul Éluard, Marcel Proust ou Gisèle Halimi. J’observe la Tour Eiffel depuis le point le plus haut.
Je m’éloigne des cortèges funéraires. J’évite ceux qui pique-niquent, une activité que je ne considère pas adaptée à ce lieu. Je scrute les arbres pour observer les oiseaux. Je me demande où sont passés les renards -un d’entre eux a-t-il fini sur les pistes d’Orly ?-. J’utilise mon téléphone pour lire la biographie d’une femme ou d’un homme dont l’épitaphe attise ma curiosité. J’essaye de comprendre l’organisation interne des lieux, les généraux d’Empire qui reposent telle une armée sur la même butte, les écrivains qui entourent Balzac comme dans un salon littéraire.
Le cimetière est au plus beau dans la lumière de l’automne après la Toussaint. Les feuilles des arbres sont jaunes et oranges. Les allées et les tombes couvertes de bruyères et de chrysanthèmes. Les arbres et les plantes et la mousse font leur travail lent contre la pierre. Certaines tombes semblent être avalées par la terre. Les jardiniers veillent à cet équilibre précaire entre les rites funéraires et la nature. Ils taillent et replantent, ferment le cimetière quand il devient verglacé avec le froid hivernal.
Je trouve toujours un moment de calme et de sérénité quand je me promène au Père-Lachaise. Quand je ne sais pas trop quel itinéraire prendre, je laisse mes pas me guider. Les pavés et les escaliers me forcent à ralentir, à baisser les yeux vers mes pieds et à prendre un rythme différent. Et quand je croise la tombe d’un homme politique argentin du 19e siècle dont je ne connais rien, je sors mon téléphone de ma poche et je cherche son nom sur Wikipédia, qui m’affiche une biographie en quelques lignes et me confirme, ambiguë, que cet inconnu est mort à Paris et est enterré au cimetière de La Recoleta. Et pourtant, comme mes yeux me le disent, il semble avoir deux villes, deux tombes et deux cimetières.
Je fêterai bientôt les 6 ans de la 1ère Lettre de Barcelone et je prépare un article « making of »/ »coulisses » sur mon processus d’écriture. Avez-vous des questions sur les Lettres ?
bravo Caroline, pour ta régularité. J’aime tellement tes balades littéraires qui m’apprennent toujours quelque chose 🙂
Ton texte nous donne le goût d’aller se promener au cimetière Père-Lachaise! Très beau texte!
Merci Mirelle ! La prochaine fois que tu es de passage à Paris, on va au Père Lachaise 🙂
Merci Francine. J’aime beaucoup ce lieu et j’espère lui avoir fait justice avec les textes que je lui ai consacré 🙂