En 1984, avant même qu’influencer ne soit un métier, le professeur de psychologie américain Robert Cialdini a publié un livre, Influence: The psychology of persuasion (Influence et manipulation en VF) sur les techniques de persuasion utilisées pour nous pousser à acheter un produit, à croire en une personne ou en une idéologie ou à nous comporter d’une certaine manière. Pour préparer la publication du livre, il avait mené l’enquête de l’intérieur, se faisant embaucher par les organisations –du concessionnaire automobile à la secte religieuse– où travaillent les pros de l’art de la persuasion. De cette enquête initiale, il en a tiré sept principes fondamentaux à mettre en œuvre pour persuader (influencer) les choix des autres.
Les sept principes sont les suivants, sans ordre particulier : la réciprocité, la sympathie, la preuve sociale, l’expertise, l’engagement et la cohérence, et l’unité.
J’ai écouté une longue interview de Cialdini qui était l’invité d’un podcast et je me posais une seule question : comment ses sept principes pourraient s’appliquer à la promotion d’un livre, notamment pour les auteurs indépendants ?
Voici ma compréhension des sept principes identifiés par Cialdini et comment je pense qu’ils peuvent s’appliquer à la promotion d’un livre.
1. Sympathie (Liking)
Pour convaincre (pour vendre), il faut paraître sympathique. Cialdini donne deux conseils faciles à appliquer dans la vie courante : complimenter l’autre personne et trouver des points communs avec elle.
Comment paraître sympathique à des lecteurs potentiels ? Voici mes idées :
- Une présence sur les réseaux sociaux (Faut-il avoir une communication alignée et cohérente avec le contenu du livre ? Ou au contraire privilégier des contenus « populaires » et adopter un chat ?)
- Des interviews (sur des podcasts, des blogs, sur Twitch, etc.) qui révèleraient des points communs à identifier par les lecteurs
- La participation à des salons littéraires, points de contact avec de possibles lecteurs
- Les sessions de dédicaces de livres
- Le blog d’auteur (ou page d’auteur) sur lequel il est possible de se présenter de manière plus complète
2. Preuve sociale (Social proof)
La preuve sociale est constituée par l’ensemble des recommandations données par d’autres que soi, tout ce qui laisse comprendre à la cible de l’action de persuasion que le produit (ou le service, ou le message) a déjà séduit d’autres personnes. Voici pourquoi le bandeau « Goncourt 2021 » ou « Prix Femina 2021 » ou « 1 million de lecteurs conquis » fait vendre. Ou les étoiles et des commentaires très positifs sur Babelio ou Amazon.
Quelles sont les sources de preuve sociale pour un livre et son auteur ? Voici, de la même manière, quelques idées :
- Le bouche à oreille (le plus efficace, sûrement)
- Les chroniques et/ou critiques de blogueurs
- Les avis de lecteurs sur les sites d’achats de livre, sur Babelio
- Les médias traditionnels (presse, télé, radio, etc.)
- Les librairies, surtout si le livre est accompagné d’une petite fiche cartonnée avec le commentaire du libraire (comme dans celles que j’aime)
- Les chiffres de ventes ou la place du livre dans les classements des meilleures ventes (celles d’Amazon, par exemple)
- Les prix littéraires ou distinctions similaires
3. Expertise (Authority)
Je n’aime pas beaucoup le mot « autorité » choisi par Cialdini, je préfère utiliser ici le mot expertise. Pour persuader, il faut être perçu comme un expert du sujet donné, une référence. Il cite dans Influence le pouvoir de persuasion d’une personne vêtue d’une blouse blanche dans un hôpital.
Je suis moins sûre s’il est pertinent qu’un auteur soit un « expert » d’un sujet, notamment s’il écrit de la fiction. Mais il est clair que pour certains genres littéraires qui peuvent nécessiter une grande documentation et des connaissances techniques… En tant que lectrice, je préfèrerais lire un roman écrit par un grand maître des échecs sur le monde des échecs… que par quelqu’un qui n’a jamais joué aux échecs. Cette expérience préalable, source de crédibilité sur le sujet traité par le livre, peut donc être mise en avant dans la promotion.
Néanmoins je ne suis pas sûre que se présenter comme un expert de l’écriture et de ses techniques (en donnant des conseils, en expliquant son processus créatif, etc.) agit ou pas pour convaincre des possibles lecteurs. Margaret Atwood dit souvent que le livre est à l’auteur ce que le foie gras est au canard (comprendra qui veut).
4. Rareté (Scarcity)
Pour convaincre, il faut que le produit ou service (ou idée) proposé soit rare. C’est l’application du principe selon lequel ce qui est rare est précieux. Cialdini cite ainsi les collections limitées de vêtements, où la rareté est orchestrée par la marque qui ne lance à la fabrication qu’une petite série d’un produit qu’elle veut transformer en icône. Je pense aussi aux éditions spéciales de vinyles (ou CD) qui fonctionnent sur le même ressort d’exclusivité.
Pour des livres, voici les possibilités que j’imagine :
- Des exemplaires dédicacés
- L’ajout de livres reliés (une nouvelle option offerte par Amazon, par exemple, en plus du broché/poche habituel)
- Une personnalisation du livre, avec l’ajout de cadeaux (un marque-pages, une pochette, un sticker ou un magnet, etc.)
5. Réciprocité (Reciprocation)
La technique identifiée par Cialdini est un classique du genre : offrir quelque chose à la personne que l’on veut persuader. Il explique que même le cadeau d’un stylo ou d’un bloc-notes par un laboratoire pharmaceutique à un médecin (sans l’inviter à une croisière tous frais payés dans les Caraïbes) influence sur le long terme les prescriptions de ce dernier et sa propension à recommander les médicaments produits par le laboratoire.
Je pense ici à tous les objets et contenus gratuits proposés par des auteurs :
- Goodies lors de salons ou sessions de dédicace (marque-pages, etc.)
- Newsletters
- Vidéos ou podcasts
- Articles de blog (même si parfois pas de lien direct avec le livre lui-même)
- Chapitres à lire en ligne ou à télécharger gratuitement
- Ebook gratuit (dans l’idée de booster ensuite la preuve sociale, en imaginant que de nouveaux lecteurs conquis recommanderont le livre) ou nouvelle gratuite
- Concours pour gagner un exemplaire (car j’identifie la chance de gagner le livre comme le cadeau… peut-être à tort ?)
- Recueil collectif dont l’ebook est gratuit (sur le modèle de ceux du Club des indépendants) qui donne envie ensuite de lire les romans des auteurs participant au recueil
Je me demande toutefois si Internet, en démultipliant ce nombre de contenus gratuits, n’affaiblit pas le principe de réciprocité.
6. Unité (Unity)
Pour Cialdini, le sentiment d’appartenance à une communauté est également un facteur à prendre en compte au moment de convaincre.
Ce principe d’unité doit être celui qui conduit les maisons d’édition à proposer des livres dans des genres ou catégories facilement identifiables, à publier les autobiographies de célébrités qui ont déjà une communauté de fans, à privilégier des auteurs qui sont « le nouveau X », « la nouvelle Y » etc. Pour les auteurs indépendants, j’imagine qu’il faut aussi jouer sur le même terrain, clarifier son positionnement, soigner la catégorisation de son livre sur Amazon, etc.
Dans mon cas particulier, je m’interroge toujours encore sur qui sont les lecteurs cibles de mon livre, donc c’est un principe que je vais avoir du mal à appliquer. Les voyageurs ? Les expatriés (et ex-expatriés) ? Les amoureux de Barcelone ? Les amateurs de récits courts et de billets, par exemple ceux que publie souvent la presse anglo-saxonne ?
7. Engagement et cohérence (Commitment and consistency)
Le principe d’engagement et de cohérence repose sur la tendance que nous avons tous de vouloir être cohérents avec nous-mêmes et nos valeurs. Cialdini raconte ainsi que son éditeur, après lui avoir annoncé que les 1 500 premières impressions de son livre présentaient des défauts de mise en page, lui dit « ça m’embête car ça t’arrive à toi et tu es un chic type… qu’est-ce qu’on fait ? ». Et, conditionné par le « chic type » lâché par son éditeur, Cialdini a répondu quelque chose comme « tant pis, on fait avec ».
En écoutant la discussion, je me suis interrogée. Comment invoquer les valeurs du lecteur potentiel ? Quelles sont les valeurs possibles ? Ce n’est pas très évident pour moi de voir comment appliquer ce principe mais je pense au travail clé du graphisme de la couverture du livre, qui l’inscrit dans un genre littéraire. Avec les autres éléments de communication, je comprends qu’il faut viser une forme de cohérence pour ne pas s’éloigner de ce principe mis en avant par Cialdini. Le lecteur potentiel qui est un lecteur de romans policiers… cherchera les codes visuels du roman policier et y trouvera une cohérence avec son identité de lecteur.
Finalement, j’ai trouvé que la majorité des sept principes trouvent une transposition simple dans les techniques de promotion littéraire.
Aux auteurs indépendants qui me lisent : appliquez-vous certaines de ces techniques de persuasion ? Que pensez-vous de la classification établie par Cialdini ?
Sources
Voici le lien vers l’entretien où sont expliqués en détail les principes de Cialdini dans le podcast de Freakonomics (audio et transcription disponibles)
Image par Gerd Altmann de Pixabay
Excellent article Caroline !
Très clair avec plein d’idées-exemples à mettre en pratique.
Pour répondre à ta question, je trouve ces 7 principes tout à fait adaptés au milieu du livre et je les applique tous avec plus ou moins de succès et d’assiduité. Ton texte vient de me donner une idée pour utiliser davantage le principe de rareté. Il va m’être très utile pour mettre en place quelque chose que j’avais déjà en tête depuis un moment…
Merci Carine ! C’est cool si tu reconnais les principes & que tu les appliques. Je ferai probablement des mises à jour en fonction de ce que j’observerai à l’avenir 🙂