Suis-je une personne différente selon la langue dans laquelle je m’exprime ?
Assise sous les lampes chauffantes de la terrasse d’un café situé dans le quartier du Marais, je téléphone à une amie américaine avant de reprendre ma conversation avec une ancienne collègue. Je passe de l’anglais au français sans frein et sans accroc. Mais est-ce vrai ? Suis-je la même quand je parle français et quand je parle anglais ?
La majorité de la population mondiale est bilingue et même multilingue. Langue officielle, langue régionale, dialecte, lingua franca… Nombreux sont ceux qui naviguent entre des langues différentes selon les contextes dans lesquels ils se trouvent. Au travail, avec leur famille ou une partie de leur famille, avec certains amis, pour leurs loisirs, etc. Les personnes monolingues sont une minorité… qui se prennent pour la majorité.
Je ne suis pas la même selon la langue dans laquelle je m’exprime.
Quand je parle français, j’habite l’espace le plus grand, le plus visible. Le français est la langue dans laquelle j’ai toujours communiqué avec ma famille. La langue de l’école, la langue des études supérieures. J’en maîtrise les nuances et les subtilités. Le français charrie tous mes souvenirs, toutes celles que j’ai été (ou presque).
En espagnol, ma voix résonne fort et mes gestes sont appuyés. Je suis probablement plus extravertie qu’en français. J’ai appris l’espagnol dans la cour de récréation et devant la télévision à Buenos Aires. Si apprendre est le mot pour désigner cette expérience. Je me souviens de l’institutrice et de mes camarades me traduisant quelques informations en français. Puis, comme par magie, de comprendre et de parler parfaitement cette nouvelle langue. L’espagnol fait revivre les années passées en Argentine et en Espagne, d’autres histoires nationales et d’autres références culturelles qui sont (partiellement) les miennes.
Je mobilise une autre version de moi pour m’exprimer en anglais. Celle qui a commencé à parler cette langue en classe de quatrième et qui n’a cessé de se perfectionner. D’abord avec les ressources disponibles, livres, musique, films et séries en VO, puis lors de voyages et d’une expatriation aux USA. Une langue associée à mon expérience professionnelle, à ces années passées à voyager partout dans le monde avec l’anglais comme carte de visite.
Il y a les langues dont je ne parle que quelques mots, quelques phrases, telle des frontières, des limites à ce que je peux être, des marqueurs de ce qui est important, aussi, de ce qui résiste à l’oubli, autant de passerelles vers les autres. Un peu d’allemand caché sous l’anglais. De quoi donner des nouvelles à mes amies de Barcelone en catalan. La grammaire latine. Des mots d’arabe, mélange de verbes simples, d’expressions du quotidien, de noms propres et d’essentiels comme « la maison », « m’as-tu compris ? » et le « mes filles » qui nous identifie, ma sœur et moi. Je m’interroge : qui aurais-je été dans ces langues dont la maîtrise m’élude ?
Suis-je la même quand je parle français ou quand je m’exprime dans une autre langue ? Je ne le crois pas. Pas tout à fait. Plus tout à fait. Mais à défaut d’une version originale, j’accepte des versions originales.
Image : photo de l’installation de l’artiste libanais Elias Nafaa « Ruines intemporelles »
Une nouvelle à découvrir : Equilib’
Bonne question !
Suis-je la même quand je parle anglais ? En réalité, j’ai l’impression que l’infinie courtoisie des anglais et de leur langue (ce que nous qualifions parfois d’hypocrisie) m’a beaucoup plu et a fini par influencer mon français.
Je n’avais absolument pas pensé à cette influence possible !
Merci Catherine & quelle belle qualité à « traduire » dans ton français 🙂