« Quand l’élève est prêt, le maître apparaît » affirme le proverbe. La nouvelle série de Netflix inspirée par les aventures d’Arsène Lupin en fait la démonstration. Son protagoniste découvre les livres de Maurice Leblanc à l’adolescence, se refugie dans leur lecture et devient un voleur ingénieux et insaisissable, transposant les techniques de Lupin au 21e siècle.
La série m’a fourni le prétexte pour relire le premier volume des aventures d’Arsène Lupin, Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur. En 1905, Maurice Leblanc avait écrit sur commande pour le magazine Je sais tout une nouvelle mettant en scène un personnage imitant les Britanniques Sherlock Holmes et surtout A.J. Raffles, the amateur cracksman, le voleur amateur. Raffles, un maître des déguisements comme le détective Sherlock Holmes, appartient à l’aristocratie londonienne mais finance son train de vie par des vols. En 1907, Maurice Leblanc publiait Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur, premier livre d’une longue série de romans, pièces de théâtre et recueils de nouvelles mettant en scène son héros.
Dans la nouvelle initiale, Lupin est arrêté à New York par son ennemi le policier Ganimard après une traversée de l’Atlantique. Dès le départ du Havre, un télégramme avait annoncé au capitaine que Lupin était à bord du paquebot et qu’il voyageait en première classe seul et sous un faux nom commençant par la lettre R. Ce récit incorpore avec brio des figures qui deviendront des classiques de la littérature policière : le huis-clos et le narrateur non fiable. La nouvelle finit par une confession de Lupin à son « biographe » Maurice Leblanc. Il parvient avec une telle aisance à changer de visage et de personnalité qu’il ne sait plus toujours qui il est. Mais ses actes le désignent, sans équivoque.
J’avais lu les aventures du Club des cinq d’Enid Blyton à la bibliothèque de mon école primaire et maintenant collégienne, je dévorais les aventures de Lupin. Résoudrait-il les énigmes qui se présentaient à lui ? Continuerait-il à accumuler tableaux, meubles anciens, bijoux et châteaux ? Réussirait-il à éviter les arrestations ? Et, contrairement à toutes les séries de romans policiers que je lisais, le plaisir ne consistait-il pas à applaudir un voleur plutôt que les détectives ?
Les relectures ultérieures ont complété ma perception de l’œuvre de Maurice Leblanc. Je remarque l’influence des romans d’Alexandre Dumas sur les intrigues, du Collier de la reine à La comtesse de Cagliostro mais aussi sur les personnages. Arsène Lupin ne partage-t-il pas ses qualités d’intelligence, d’audace et de maîtrise de soi avec d’Artagnan ? J’apprécie l’attachement indubitable de Leblanc à sa Normandie natale qui devient le décor de nombreux récits, de l’aiguille d’Étretat à l’abbaye de Jumièges. J’aperçois dans sa double identité, d’un côté Arsène Lupin, de l’autre ses alias multiples, une première ébauche des super-héros américains.
Quand j’ai découvert les aventures d’Arsène Lupin, je venais de traverser l’Atlantique dans l’autre sens que le voleur au haut-de-forme. J’étais sûrement un peu perdue entre « Caroline » et « Carolina ». Je percevais avec acuité les attitudes froides et xénophobes de mon nouvel environnement. Avec le recul des années, je discerne plus clairement ce qui me captivait dans le gentleman-cambrioleur. À chaque nouvelle identité, Lupin changeait d’apparence physique et d’âge, mais aussi de nationalité (Français, mais aussi Italien, Portugais, Anglais, etc.), de milieu social ou de profession. Tel un caméléon, il prenait la couleur requise par les circonstances et triomphait de ses adversaires. Mais il demeurait fondamentalement le même, reconnaissable par ses actions, caractérisé par elles. C’était la leçon de Lupin. Plus que tout autre chose, mes actes me définiraient. « Quand l’élève est prêt, le maître apparaît ».
—Pourquoi, dit [Arsène Lupin], aurais-je une apparence définie ? Pourquoi ne pas éviter ce danger d’une personnalité toujours identique ? Mes actes me désignent suffisamment. L’arrestation d’Arsène Lupin, dans Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur que vous pouvez lire gratuitement en ligne.