J’ai revu L’auberge espagnole du réalisateur français Cédric Klapisch, film tourné en 2001 entre Paris et Barcelone et sorti en 2002. Je l’avais vu au cinéma puis en DVD quelques années plus tard.
Synopsis (source : allocine.com) : Xavier, un jeune homme de vingt-cinq ans, part à Barcelone pour terminer ses études en économie et apprendre l’espagnol. Cette langue est nécessaire pour occuper un poste, que lui promet un ami de son père, au ministère des finances. Mais pour ce faire, il doit quitter sa petite amie Martine, avec qui il vit depuis quatre ans. En Espagne, Xavier cherche un logement et trouve finalement un appartement dans le centre de Barcelone qu’il compte partager avec sept autres personnes. Chacun de ses colocataires est originaire d’un pays différent.
Premières impressions
Mon attention s’est d’abord portée sur tous les aspects « rétro » du film : les pesetas (et des francs) au lieu de l’euro, les cabines téléphoniques et les téléphones fixes (les téléphones portables sont déjà omniprésents mais les smartphones ou le roaming dans l’Union européenne n’ont pas encore fait leur apparition), les CD dans les chambres des étudiants, les photos Kodak, les vieux ordinateurs sans connexion à Internet, etc.
Les lieux filmés dans Barcelone sont très restreints. Les protagonistes restent dans la vieille ville (Barri Gòtic, Born, Raval) entre la Plaça Catalunya et la mer. Xavier (interprété par Romain Duris) descend les Ramblas et marche sur la promenade maritime qui va du port vell jusqu’au port olímpic. Il prend une fois le téléphérique de Montjuïc depuis sa station du vieux port. Hors de ce centre géographique, il se rend à plusieurs reprises au Park Güell et à la Sagrada Família. Une plage indistincte nous est indiquée comme étant celle de Sitges. L’appartement des colocataires, situé à proximité de la Plaça Urquinaona, est typique de Barcelone avec son grand balcon donnant sur une cour intérieure où le linge sèche à toutes les fenêtres.
Barcelone, 20 ans après
J’étais en vacances à Barcelone en 2001, l’année du tournage du film. J’y ai vécu 3 ans de mars 2016 à début 2019.
20 ans après le tournage du film, le charme de Barcelone est intact. Les quartiers du centre se parcourent facilement à pied ou en vélo. Le coût de la vie reste accessible (si l’on excepte les loyers). Les conversations oscillent entre le catalan et l’espagnol. Les étudiants Erasmus galèrent encore pour suivre des cours en catalan à l’université. L’éblouissement est toujours le même quand la ville et la mer se rencontrent : la plage et les palmiers et les immeubles aux couleurs pastel du quartier de la Barceloneta qui se dessinent derrière.
La popularité de la ville a grandi auprès des touristes, des étudiants et des expatriés. Les loyers ont poursuivi leur hausse. Les 1.100 euros mensuels payés pour leur appartement de 6 chambres en plein centre en 2001 seraient totalement illusoires aujourd’hui. La construction de la Sagrada Família a progressé. Deux nouvelles tours se sont ajoutées à l’horizon barcelonais : la tour Agbar en 2005 et l’hôtel Voile en 2009. La ville et ses plages sont plus propres que dans mes souvenirs de 2001 mais la ville est peut-être moins sûre. La situation politique a changé. Dans une scène du film, un étudiant catalan dit que la langue catalane fait partie de l’Espagne. Cela reflétait assez fidèlement les opinions politiques de l’époque. Aujourd’hui, la majorité des étudiants des universités barcelonaises sont indépendantistes et cette affirmation aurait un goût de trahison.
Ma perception du film, 20 ans après
Le film m’avait fasciné. Je venais de quitter un foyer étudiant, je résidais sur un campus universitaire et j’allais encore partager un appartement plusieurs années en colocation. J’adhérais à cet idéal de vie en communauté avec d’autres jeunes adultes. Je souscrivais au message pro-européen et résolument international du scénario. Ce Babel linguistique où les colocataires changent de langue selon les conversations et les interlocuteurs me rappelait des moments vécus. J’appréciais la curiosité du héros, qui s’installe à Barcelone pour un an, apprend l’espagnol et savoure pleinement sa vie sur place.
J’identifie plus de défauts en le revoyant. Les personnages féminins sont peu développés si l’on excepte le personnage d’Isabelle (jouée par Cécile de France). Les femmes du film sont essentiellement définies comme des accessoires du héros : sa petite amie, sa maîtresse, sa confidente/bonne copine, sa mère, sa colocataire un peu maniaque ou la séduisante barmaid. 20 ans après, je voudrais en savoir plus sur ces femmes : Martine (Audrey Tautou), Anne-Sophie (Judith Godrèche), Isabelle, Wendy ou Soledad. De même, la Barcelone du film est superficielle. La gastronomie locale est réduite à des bières et des parts de tortilla. Les colocataires vont en cours, fréquentent des bars ou des boîtes de nuit, ou sont dans leur appartement. À la fin du film, Xavier avoue ne pas avoir visité la colline de Montjuïc. Aucun de mes lieux préférés à Barcelone n’apparaît à l’écran. Une scène où 4 des 7 colocataires regardent les castells, les châteaux humains typiques de Catalogne, à la télévision depuis leur canapé, m’a paru particulièrement révélatrice de cette distance. Finalement, le même scénario aurait pu être filmé dans n’importe quelle capitale européenne accueillant des étudiants étrangers.
Le film qui a inspiré tant d’échanges Erasmus est trompeur. Les étudiants ne semblent pas vraiment rencontrer de difficultés financières, l’installation sur place se résume à trouver un appartement… et cette Barcelone sans hiver n’existe qu’au cinéma !
Chacun cherche sa Barcelone
Le film me plaît encore. Il fait revivre un peu de ma Barcelone.
J’ai constaté avec satisfaction que je comprends l’intégralité des dialogues en catalan. À la sortie du film, je ne comprenais que l’espagnol et l’anglais. L’expatriation a des airs de double vie, ce que j’ai ressenti souvent, et que Xavier et ses colocataires expriment de façon littérale dans leurs vies sentimentales. Comme le héros de Klapisch, j’ai « gagné » de nouveaux amis, internationaux (Belgique, Argentine, Uruguay, Royaume-Uni, Portugal, France) mais aussi locaux. Si Xavier apprend l’espagnol dans le bar de son ami Juan, j’ai appris des rudiments de catalan avec mes amis de la chorale.
Si tout film est un miroir ou un écho, j’ai retrouvé des morceaux de moi dans L’auberge espagnole, comme si les personnages du film m’avaient précédée. Les colocataires chantent en pleine rue No woman no cry avec un guitariste américain et le visage de Wendy, son sourire détendu, sa joie, me rappellent mes propres émotions lors des concerts place de la cathédrale avec la chorale gospel. Xavier prend un café dans un chiriguinto en bord de mer et écrit des lettres à Martine pour lui raconter son quotidien et tenter de mettre en mots sa métamorphose. Finalement, son année à Barcelone devient un livre.
Le premier film de Klaspisch s’appelle Chacun cherche son chat. Je le détourne pour écrire Chacun cherche sa Barcelone. Celle de Klapisch est un film, L’auberge espagnole, qui se savoure avec l’effervescence d’une soirée étudiante Erasmus. La mienne est un livre, dans lequel j’ai capturé 3 années de vie barcelonaise. Avec, car le support me le permettait : plus de vie quotidienne, plus de gastronomie, plus de quartiers et de lieux, plus de fêtes, plus de Barcelonais, plus de plages, plus de football, plus de politique, plus de livres, plus de musique, plus d’hiver et plus d’été aussi. J’ai trouvé ma Barcelone, trouverez-vous la vôtre ?
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