Mon premier livre, Les Lettres de Barcelone, et mon projet actuel, Les Lettres de Paris, sont composés de récits courts, représentant chacun deux à trois pages dans un livre imprimé. Certains sont des anecdotes inspirées par des moments que j’ai vécus, d’autres présentent un voyage ou un livre que j’ai lu. Et beaucoup sont construits sur un principe que l’entrepreneur et écrivain américain James Altucher appelle idea sex : faire rencontrer deux idées préexistantes pour créer quelque chose de nouveau.
Par exemple, la saga Games of Thrones peut être considérée comme un croisement entre Les rois maudits (les romans historiques de Maurice Druon inspirés de l’Europe médiévale) et des classiques de la fantasy. Harry Potter mélange les pensionnats britanniques et le monde de la magie.
Cette juxtaposition d’idées existe dans d’autres univers artistiques. J’apprécie aussi les mash-ups musicaux, quand deux (ou plus) chansons d’artistes –évoluant le plus souvent dans des genres différents– sont assemblées pour créer une nouvelle chanson. Et il y a de nombreux films et séries qui sont construits sur le même principe.
D’une manière semblable, j’essaye de trouver deux idées qui n’ont pas grand-chose en commun a priori et de les réunir. Ainsi, pour écrire le texte Le bon bout de l’émotion, mon point de départ a été un entretien où l’auteur américain Ann Patchett racontait avoir détruit un roman finalisé avant de le réécrire complètement. En tant qu’auteur, son témoignage m’a choquée car elle affirmait avoir pris la décision soudainement et de manière radicale (elle n’a rien gardé).
Elle a expliqué qu’il y avait « la manière la plus juste émotionnellement » de raconter une histoire et qu’elle avait considéré que sa première version ne serait pas acceptable pour les lecteurs. Je cherchais à intégrer cette incroyable anecdote dans une de mes lettres mais il me fallait chercher une autre idée avec laquelle réunir celle d’Ann Patchett… idée que j’ai trouvé lors d’une promenade en bateau-mouche : visiter Paris depuis le fleuve était, par analogie, « la manière la plus juste émotionnellement » de découvrir la ville.
Je ne peux que conseiller aux auteurs de chercher ces rapprochements, ces contrastes, ces fusions. Utiliser les codes d’un genre littéraire dans un autre, juxtaposer deux symboles ou deux types d’intrigues dans le même récit, pratiquer l’assemblage. Et je souhaite aux lecteurs d’identifier toutes ces rencontres dans leurs lectures. Certains seront plus faciles à identifier, d’autres plus « radicales », mais il y a de la place pour tous les mélanges.
Quels mélanges avez-vous identifiés en tant que lecteurs ? Lesquels avez-vous créés comme auteurs ?
Voici d’autres exemples dans les Lettres de Paris
Le bon bout de l’émotion : Réécrire un roman entièrement x Une balade en bateau-mouche
Le bal masqué : la reine Marie-Antoinette n’a pas su décoder les intrigues de la cour de Versailles ni appliquer correctement l’Étiquette en vigueur. J’y ai vu un parallèle avec nos nouvelles habitudes de la pandémie qu’était le port du masque et la distanciation sociale (physique) avec nos connaissances et proches. Marie-Antoinette à la cour de Versailles x Les nouvelles normes sociales de la pandémie
Encore et encore : en reprenant le titre d’une chanson de Francis Cabrel, je réinterprète le jugement de Margaret Atwood qui affirmait n’avoir rien inventé (comme technologie, comme phénomène social) pour écrire son roman La servante écarlate. Et je l’imite pour dire que la pandémie n’a rien fait émerger de nouveau dans nos sociétés. Francis Cabrel x La servante écarlate x Rien ne me surprend dans la pandémie
Les quais : je traverse Paris en prenant la ligne 1 du métro ou en marchant le long du fleuve sur les berges et je compare les deux expériences. Les quais du métro x Les quais de Seine
Jamais sans mon masque : je considère les masques des super héros (et notamment une scène géniale du Spiderman II de Sam Raimi) et établis des similitudes avec les masques que nous portons à cause du virus… en évitant le cliché « on sauve des vies ». Spiderman x Les masques
Match après match : je compare la philosophie de certains entraîneurs de football professionnel, qui disent qu’il faut prendre tout « match après match », sans se projeter sur les objectifs de fin de saison, avec l’attitude qu’il nous faudrait avoir de la pandémie qui se prolonge. Le football x Une philosophie de vie
Cartes sur table : j’établis des parallèle entre les déjeuners d’affaires où je ne peux pas révéler toutes les informations en ma possession (et mes interlocuteurs non plus) avec des parties de poker où les participants cachent tous leurs jeux. Des parties de poker x Des déjeuners d’affaires
Le lièvre et la tortue : je compare ma perception de Paris que je traversais de part en part toujours pressée, avec celle que je tente d’adopter, plus lente et délibérée. Une fable de Lafontaine x Les manières dont j’utilise l’espace de ma ville natale
Sources
Cet article doit beaucoup à une interview réalisée sur un autre blog il y a quelques mois.
Et je ne peux que conseiller la lecture, en anglais, de l’article de James Altucher où il explique son concept appliqué au monde des affaires.
Image par Kranich17 de Pixabay